MT Box ou l’arnaque ADSL par Maroc Telecom

 

Vous avez envie d’une connexion Internet ADSL plus confortable que celle offerte par la 3G? Vous avez en plus envie de communiquer de manière illimitée sur votre téléphone fixe? Et aucune envie d’installer une antenne parabolique sur votre toit. Vous avez donc besoin d’un accès à un bouquet de chaines de TV via ADSL. Vous vous renseignez chez vos amis, et vous découvrez tout d’un coup qu’il n’y a qu’un seul opérateur qui puisse vous offrir tous ces services : la bonne vieille Maroc Telecom…

Pourquoi n’a-t-on donc pas le choix entre différents opérateurs sur ADSL, alors que la concurrence fait rage par exemple sur le mobile? C’est une question à laquelle nos éminents savants n’ont pas encore trouvé de réponse…

Vous vous résignez donc à aller chez l’agence de Maroc Telecom la plus proche, malgré la réputation peu recommandable de l’opérateur historique (puisque vous n’avez pas le choix…).

Après plusieurs jours/semaines/mois, un technicien se déplace chez vous et vous installe le joujou. Tout semble bien marcher les premiers jours, jusqu’à ce que vous découvrez que le débit qu’on vous a promis (4 Mbps dans la plupart des cas) n’est que théorique. Le soir ou les weekends il baisse de moitié voire plus. Vous vous dites que ce n’est pas grave, et que ca devrait passer (puisque vous n’avez pas le choix…)

La 2ème surprise vient quelques semaines après l’installation. Vous recevez une facture nettement plus élevé que ce qu’on vous a promis dans les campagnes de pub. Non seulement vous devez payer un mois à l’avance, mais il vous faut en plus payer pour le matériel que l’on vous a installé (Routeur ADSL et boitier TV ADSL) , malgré votre engagement pour 12 mois. Son prix? 425 DH. Et ça, on nous vous en a parlé nul part… Vous avalez tout de même la couleuvre et vous résignez à payer. (puisque vous n’avez pas le choix…)

La 3ème surprise, intervient après quelques jours. Vous souhaitez appeler des amis à l’étranger via Skype. Vous avez bizarrement beaucoup de mal à vous connecter. Et quand vous arrivez enfin à le faire, la connexion est coupée au bout de quelques minutes. Et là, impossible de vous reconnecter. Renseignements pris, on vous apprend qu’à défaut de pouvoir légalement interdire la VoIP (Skype et autres), Maroc Telecom dégrade volontairement la qualité des communications via Skype. Normal, au bout d’un moment, vous passerez vos communications internationales  directement de votre ligne fixe (Maroc Telecom puisque vous n’avez pas le choix…) au prix bien exorbitant que l’on connait, alors que les boxs dans les pays européens offrent des communications gratuites vers le fixe un peu partout dans le monde… (vous n’avez pas le choix…)

Quelques mois plus tard, votre ligne subit des coupures inexplicables. Sauf que  quand la ligne ADSL MT Box coupe, c’est également votre TV ADSL et votre ligne téléphonique qui deviennent indisponibles. La première fois, vous vous dites que ce sont des choses qui arrivent. Mais au bout de quelques jours, l’incident devient répétitif, et se reproduit chaque 10 à 15 minutes. Là vous vous décidez à appeler le service ADSL (le 115)  à qui vous exposez gentiment votre problème.

Au début, on vous prend systématiquement pour un débile : “Votre MT Box est-elle allumée?” “Les câbles sont-ils correctement raccordés?” “-Avez-vous la tonalité téléphonique? – Tu vois bien que je t’appelle de la même ligne non?” .  Au bout de 5 minutes, ils s’aperçoivent (ô miracle) que le problème vient peut-être de Maroc Telecom.  Là ils se résignent à vous envoyer un technicien qui sera là dans 1 à 2 jours (promis, juré, wallah l3adim mon frère). 4 jours passent, vous attendez toujours ce technicien qui ne fait toujours pas signe. Vous rappelez, une, deux, trois, dix fois, pour pouvoir tomber sur un téléopérateur. Quand celui-ci répond, il vous promet la même chose : un technicien chez vous après 1 à 2 jours. 15 jours après, le technicien vous téléphone : “Je suis devant chez vous. Où est-vous?” “Mais il fallait m’appeler avant pardi! Les rendez-vous c’est pour les chimpanzés?” Vous comprenez plus tard que les employés de Maroc Telecom croient tous que leurs clients  sont des hommes/femmes au foyer qui  attendent patiemment le passage de leurs techniciens  à la maison, ou n’ont d’autres choses à faire que de faire le tour des agences commerciales pour résoudre leurs problèmes… Le technicien revient plus tard examiner les lignes, et vous répond que tout est réglé. Bien contents, vous vous dites, que tout est peut-être rentré dans l’ordre. Et rebelote. Le même problème resurgit après quelques heures. Le problème était loin d’être réglé.

Vous vous résignez à rappeler le 115. On vous dit que cette fois-ci le problème vient de la centrale. Laquelle? On ne peut vous répondre. Quand est-ce que ca sera réglé? Très prochainement. Dans 2 jours maximum. Passent une, deux, trois semaines. Vous n’oubliez pas de rappeler le 115 chaque jour en rentrant, de leur demander s’ils vont bien, la santé, la famille… (on s’habitue vite à ses nouveaux amis). Mais vous n’oubliez pas de leur rappeler que le problème n’est toujours pas résolu. On vous répond que “Ykoun khir “, et que le problème sera réglé dans 2 jours grand max  (promis, juré, wallah l3adim mon frère).  Au bout d’un mois, vous explosez au téléphone, et les gentils bonhommes du 115 ne trouvent pas d’autres solutions pour vous que d’aller directement à l’agence commerciale la plus proche. Vous allez dans l’agence un samedi matin, poiroter pendent 2 heures en attendant votre tour. Vous exposez gentiment votre problème à la dame, qui dès qu’elle vous entend formuler la phrase “Problème technique ADSL”, vous tend le combiné posé sur le comptoir en vous disant : le 115 est l’unique interlocuteur dans le cas de problèmes techniques. “Mais puisque je vous dis que c’est eux qui m”ont envoyé ici!” “Ca doit être une erreur”.  Hurlez, criez, faites ce que vous voulez: des clients mécontents, ils en voient des dizaines par jour. Ils sont habitués.

On vous promet de résoudre votre problème dans 2 à 3 jours maximum (promis, juré, wallah l3adim mon frère). Vous rentrez complètement dégoûté chez vous, et vous réalisez que vous avez du courrier : une facture Maroc Telecom. Ca, il faut le reconnaitre, le service de facturation est très compétent chez l’opérateur historique , vous  envoie toujours les factures à temps, vous accueille à bras ouvert, et vous offre tous les moyens possibles et imaginables (sauf les cartes bancaires dans les agences, mais ça c’est une autre histoire…)  pour vous acquitter de votre dû (peut importe si leur part du contrat est remplie, car ça, ils s’en foutent).

Le même jour, vous tombez sur un article de journal qui dit que Maroc Telecom n’a pu vendre que 50 000 abonnements MT Box (sur 630 000 abonnés ADSL) en 5 ans d’existence : un véritable fiasco commercial… Et là vous vous vous dites que c’est bien mérité pour leurs gueules!

Messieurs les dirigeants de Maroc Telecom, si votre profitabilité (une des plus grandes au monde faut-il le rappeler?) est en déclin, et que votre cours boursier atteint son niveau le plus bas depuis 5 ans, il ne faudra blâmer que vous même et la médiocrité de vos prestations et de la relation avec vos clients. Ils sont votre véritable capital, et ils causeront très probablement votre déroute.

Ce billet est inspiré d’histoires bien réelles (la mienne entre autres…).

 

Fiasco de l’éducation au Maroc : un historien français avait tout prévu il y a 50 ans

Et si l’état actuel de l’éducation au Maroc était tout à fait prévisible depuis 50 ans? Et si l’état catastrophique était prémédité par une élite bien établie qui souhaitait continuer à avoir la mainmise sur le Maroc? C’est que laisse entendre cette lettre envoyée par Charles-André Julien, éminent historien français spécialiste du Maghreb. Au lendemain de l’indépendance, il fut invité par Mohammed V à fonder l’Université marocaine, et fut à cet effet nommé premier doyen de la Faculté des Lettres à Rabat.

Cette lettre a été adressée à M. Bennani, Directeur du Protocole de Mohammed V.

Charles André Julien

Paris 1 Novembre 1960

Cher ami,

Depuis hier 31 Octobre, j’ai cessé d’être officiellement doyen de la Faculté des Lettres de Rabat. Je puis désormais m’exprimer en toute liberté.

J’ai été appelé par Sa Majesté à contribuer à resserrer les liens culturels entre l’Occident et l’Orient. Je l’ai fait de mon mieux. J’ai créé de toutes pièces une Faculté qui a acquis un solide renom, et qui eut pu devenir le centre culturel le plus important de l’Afrique musulmane et un centre d’attraction pour les Africains francophones. J’ai toujours été partisan de l’arabisation, mais de l’arabisation par le haut. Je crains que celle que l’on pratique dans la conjoncture présente ne fasse du Maroc en peu d’années un pays intellectuellement sous développé. Si les responsables ne s’en rendaient pas compte, on n’assisterait pas à ce fait paradoxal que pas un fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas, n’envoie ses enfants dans des écoles marocaines. On prône la culture arabe, mais on se bat aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Le résultat apparaîtra d’ici peu d’années, il y aura au Maroc deux classes sociales : celle des privilégiés qui auront bénéficié d’une culture occidentale donnée avec éclat et grâce ä laquelle ils occuperont les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées dans les conditions actuelles et qui les cantonneront dans les cadres subalternes. Avec de la patience et de la méthode on eut pu aboutir à un tout autre résultat, qui permettrait de donner à tous les enfants des chances égales d’avenir.

Le Ministère de l’Education Nationale ne parait pas répondre aux services qu’on attend de lui. On ne saurait dire que l’ordre et la compétence y triomphent, cependant que les éléments marocains les plus valables et soucieux de l’avenir de leur pays sont attaqués dans l’Istiqlal. Les dossiers importants sont parfois partagés entre trois services sans que le cabinet laisse jouer au Secrétariat général son rôle normal de coordination. Le Ministre ne semble pas désirer les contacts. A part la visite de courtoisie que j’ai pu faire après ma nomination, je n’ai jamais eu l’occasion de m’entretenir avec lui. Le Directeur de l’Enseignement supérieur, dont dépend la Faculté, ne répond généralement pas aux lettres. Les mesures les plus importantes sont improvisées, et il m’est arrivé de les apprendre par leur publication au journal officiel sans que j’aie té consulté. C’est ainsi qu’à la mi-octobre 1960, on a décidé en quelques heures de créer une propédeutique et des certificats de licence marocaine de langue française, sans que les programmes aient été au préalable étudiés et que les incidences de ces initiatives aient été mesurées. J’ai appris ces décisions en prenant connaissance de textes polycopiés déposés sur le bureau de ma secrétaire. Il est impossible de faire un travail efficace avec une technique si contraire ä la bonne administration. S’il est un domaine en effet où l’improvisation a des conséquences redoutables pour l’avenir, c’est Enseignement. On ne semble pas s’en douter.

Sa Majesté m’a appelé à Rabat pour promouvoir la culture marocaine, et non pour être complice de sa ruine. Je me suis donc retiré, laissant à d’autres les responsabilités d’une politique universitaire qui me parait imprudente et vouée à l’échec. Je répète que le Maroc est totalement libre de choisir la politique culturelle qui lui semble la meilleure, mais c’est à des Marocains qu’il doit en confier l’application. C’est pour cela que j’ai sollicité du Ministre mon remplacement par un doyen marocain. Un autre point me parait grave quoique d’un autre ordre, c’est celui de la situation faite aux fonctionnaires français qui sont en place, telle que j’ai pu l’apprécier par ma propre expérience. Que le Maroc les remplace par des nationaux, cela est tout à fait normal, mais qu’il ne leur témoigne pas des égards auxquels ils ont droit, cela me parait difficile à admettre. Depuis trois ans, j’ai consacré la majeure partie de mon temps au Maroc sans autre rémunération que le remboursement partiel de mes frais. Je l’ai fait volontiers, mais que l’on m’ait placé à plusieurs reprises devant le fait accompli alors que j’avais la responsabilité de la marche de la Faculté, cela ne saurait être admis par un homme conscient de sa dignité. Faire toutes les besognes officielles, et être tenu à l’écart des décisions fondamentales, c’est pour un doyen une position morale qu’il lui est impossible de supporter. Quand par exemple, le Recteur organise un banquet en l’honneur de son collègue de l’Université de Paris, le Professeur Debré, et qu’il y invite mon adjoint M. Ben Bachir sans m’y convier moi même, bien qu’il sache ma présence à Rabat, il pratique une ségrégation regrettable qui m’oblige à me souvenir que le soir de la Celle Saint-Cloud, j’étais l’hôte de Sa Majesté au premier dîner en l’honneur du Maroc indépendant. Je puis mesurer par ce seul fait les changements qui se sont produits depuis cinq ans.

A la cérémonie émouvante qui a marqué mon départ, et à laquelle assistaient de nombreux marocains et français, j’ai été salué par un professeur, fonctionnaire du rectorat, et par le vice-doyen de la faculté. Le ministre n’était pas présent, et pas d’avantage le directeur de l’enseignement supérieur. Ce sont les Marocains qui ont éprouvé le plus de gène. Si j’ai reçu une lettre très aimable du recteur, le ministre n’a pas cru devoir me témoigner la reconnaissance du Maroc, soit en m’écrivant, soit en me recevant. Par contre, l’ambassadeur de France et le conseiller de la Mission culturelle dont je ne dépendais en aucune mesure et qui ont toujours strictement respecté l’autonomie de la Faculté, m’ont réservé à plusieurs reprises le meilleur accueil. Je me serais abstenu de signaler l’attitude à mon égard du Ministre de l’Education Nationale si elle n’avait entraîné des conséquences sur lesquelles je vous serais obligé de bien vouloir attirer l’attention de Sa Majesté. Depuis le 10 mai dernier (2), date à laquelle j’ai donné ma démission, j’ai écrit à plusieurs reprises au Ministre pour l’informer de la situation. II n’a pas jugé utile de m’accorder un entretien. Avant de retourner au Maroc, je l’ai informé que je serais à Rabat, pour un dernier séjour, à partir du 13 Octobre et que je me tiendrais à sa disposition. J’avais l’intention de le prier de solliciter pour moi une audience de sa Majesté. Fonctionnaire chérifien, je devais en tant que français donner l’exemple du respect de la voie hiérarchique qui s’impose à tous. M’adresser directement au Palais, sans passer par l’intermédiaire de mon ministre eut manqué aux règles les plus impératives de l’Administration. Mon Ministre ne me convoquait pas, j’ai été mis dans l’impossibilité à mon grand regret de présenter à Sa Majesté mes remerciements pour la confiance qu’elle m’a toujours témoignée.

Croyez mon ami à mes souvenirs les meilleurs.
Charles André Julien, professeur à la Sorbonne ».

Source : Centre d’Histoire de Sciences Po Paris

Un article détaillé sur Charles-André Julien est publié sur le numéro de Juin 2012 du magazine Zamane.