Les récentes émeutes dans plusieurs villes marocaines, dont Marrakech et Taza, avaient pour revendications (entre autres), la baisse des factures d’eau et électricité, que les habitants jugent élevés. D’autres manifestations avaient eu lieu auparavant à Casablanca, Rabat et Tanger pour dénoncer des hausses inexpliquées de ces factures.
Le secteur de distribution d’eau et d’électricité relève de 3 types d’acteurs, selon les villes :
- Les régies de distribution autonomes
- Les régies concédées à des opérateurs privés. Elles ne concernent pour le moment que les villes (et environs) de Casablanca (Lydec), Rabat (Redal), Tanger et Tétouan (Amendis)
- L’ONEP et l’ONE
Certaines villes sont desservies à la fois par l’ONE ou l’ONEP (distribution d’eau ou électricité) en même temps qu’une régie autonome.
Les tarifs des régies et ceux de l’ONEP ou l’ONE sont régis par décret ministériel de l’autorité de tutelle (Ministère de l’Intérieur). Ceux des régies concédées sont négociés selon le contrat de gestion délégué qui lie les villes aux opérateurs privés.
Qu’en est-il vraiment des tarifs? Existe-t-il des différences flagrantes entre les villes marocaines? En cherchant l’information, on se rend compte que la majorité des distributeurs sont relativement transparents sur les tarifs pratiqués. Il les affichent sur leurs sites web, avec un niveau de détail assez satisfaisant.
Les régies qui n’affichent pas les tarifs de leurs services sont celles de :
Celles qui affichent clairement leurs tarifs sont celles de :
- Casablanca & Mohammedia (Lydec)
- Rabat (Redal)
- Tanger (Amendis)
- Tétouan (Amendis)
- Marrakech (RADEEMA)
- Fès (RADEEF)
- Oujda (RADEEO)
- Safi (RADEES)
- Kenitra (RAK)
- Larache (RADEEL)
Tarifs de l’eau :
Les distributeurs se fournissent généralement auprès de l’ONEP, qui leur facture un prix qui dépend de l’accessibilité des ressources en eau de la régie et le degré de facilité de son exploitation (barrages, sources, nappes phréatiques…). Ceci explique en partie l’écart enregistré entre les différentes villes de notre benchmark ci-dessous.
Les tranches (qui peuvent légèrement varier d’une ville à l’autre) sont définies comme suit :
- Tranche 1 : 0 à 8 m3 par mois
- Tranche 2 : 8 à 20 m3 par mois
- Tranche 3 : Plus de 20 m3 par mois
On remarque clairement que le tarif le moins cher est appliqué au niveau de Larache, alors que les plus chers sont au niveau de Oujda, Casablanca et Safi.
Et si vous trouvez que les tarifs pour une tonne d’eau sont chers (1 m3 = 1000 litres = 1 tonne), demandez aux habitants de douars ou ceux qui se fournissent auprès des fontaines d’eau (seqqayas) le prix qu’ils paient pour acheter quelques litres d’eau, et vous serez très surpris.
Assainissement :
Les prix pour les services d’assainissement sont payés par les consommateurs comme redevance aux distributeurs pour procéder à l’assainissement des eaux usées consommées.
Les tranches appliquées sont les mêmes que pour la consommation de l’eau :
Le benchmark fait ressortir que les tarifs les plus chers d’assainissement sont au niveau de Casablanca, Mohammedia et Marrakech.
Electricité :
Là aussi, les distributeurs se fournissent auprès de l’ONE. Les tranches de consommation sont de l’ordre :
- Tranche 1 : 0 à 100 KWh
- Tranche 2 : 101 à 200 KWh
- Tranche 3 : 201 à 500 KWh
- Tranche 4 : Plus de 501 KWh
Les tarifs sont relativement uniformes dans les villes marocaines. Tanger se distingue cependant par des tarifs relativement supérieurs au reste des villes marocaines.
Simulation :
Afin de pouvoir comparer différents profils de consommateurs, on peut établir trois groupes de consommateurs types :
- Petit consommateur : Reste systématiquement dans la 1ère tranche des 3 produits
- Consommateur moyen : Reste systématiquement dans la 2ème tranche des 3 produits
- Gros consommateur : Se situe à la 3ème tranche des 3 produits
Pour les petits consommateurs, Casablanca et Tanger sont les villes où l’ont paye la facture la plus élevée. Pour les gros et moyens consommateurs, Casablanca est la ville la plus chère.
Larache quant à elle, est la ville où les factures sont les moins élevées de notre benchmark.
A ces tarifs, il faut rajouter 14% de TVA pour l’électricité, et 7% de TVA sur l’eau et assainissement. D’autres frais viennent s’ajouter à la facturation de la consommation : la taxe audiovisuelle (que l’actuel gouvernement compte supprimer pour les petits et moyens consommateurs), des redevances fixes de consommation (de l’ordre de 6 à 7 DH pour l’eau), des frais de location du compteur (si, si…), des frais d’entretien…
Ce sont ces éléments, qui ne sont pas systématiquement communiqués aux consommateurs (sauf dans les factures), qui donnent l’impression de payer cher sa facture d’eau et d’électricité.
Les habitants de Taza et Marrakech ont-ils raison de manifester contre les factures d’eau et d’électricité? Le benchmark actuel ne permet pas de le penser (pour Marrakech en tout cas, faute de données sur Taza).
Une des raisons qui peuvent expliquer ces factures élevées et le fait qu’une pratique est assez répandue dans les quartiers populaires : Plusieurs familles/foyers sont connectées au même compteurs d’eau et d’électricité. La consommation commune passe très souvent à la 3ème tranche (voire la 4ème pour l’électricité), beaucoup plus chère que les 2 premières, et font donc exploser la facture commune (à diviser entre les familles/foyers). Avoir des compteurs séparés (même si cela n’est pas toujours possible…), permettrait de maintenir sa consommation au niveau de la 1ère ou de la 2ème tranche, aux prix nettement plus abordables.
Autre élément important à prendre en compte : le pouvoir d’achat de ces villes n’est pas le même que celui de Casablanca ou de Rabat par exemple. Elles représentent une part non négligeable du budget des ménages à revenus réduits ou moyens.
Pourquoi ne pas prendre exemple de certaines expériences internationales? Celle de Bogotá (Colombie) par exemple est très intéressante. La ville est divisée en plusieurs secteurs (pauvres, moyens et riches). Les habitants des quartiers pauvres payent un tarif beaucoup moins élevé que ceux des quartiers riches. Ces mêmes riches payent un tarif plus élevé que la moyenne, pour permettre de subventionner les rabais accordés aux quartiers pauvres. Une sorte de caisse de compensation équilibrée au niveau de la ville.
En attendant, les émeutes des villes sont gérées d’une manière quasi-exclusivement sécuritaires, en excluant tout recours, pour le moment, à des solutions plus intelligentes et plus innovantes, notamment au niveau de la tarification.