Fiasco de l’éducation au Maroc : un historien français avait tout prévu il y a 50 ans

Et si l’état actuel de l’éducation au Maroc était tout à fait prévisible depuis 50 ans? Et si l’état catastrophique était prémédité par une élite bien établie qui souhaitait continuer à avoir la mainmise sur le Maroc? C’est que laisse entendre cette lettre envoyée par Charles-André Julien, éminent historien français spécialiste du Maghreb. Au lendemain de l’indépendance, il fut invité par Mohammed V à fonder l’Université marocaine, et fut à cet effet nommé premier doyen de la Faculté des Lettres à Rabat.

Cette lettre a été adressée à M. Bennani, Directeur du Protocole de Mohammed V.

Charles André Julien

Paris 1 Novembre 1960

Cher ami,

Depuis hier 31 Octobre, j’ai cessé d’être officiellement doyen de la Faculté des Lettres de Rabat. Je puis désormais m’exprimer en toute liberté.

J’ai été appelé par Sa Majesté à contribuer à resserrer les liens culturels entre l’Occident et l’Orient. Je l’ai fait de mon mieux. J’ai créé de toutes pièces une Faculté qui a acquis un solide renom, et qui eut pu devenir le centre culturel le plus important de l’Afrique musulmane et un centre d’attraction pour les Africains francophones. J’ai toujours été partisan de l’arabisation, mais de l’arabisation par le haut. Je crains que celle que l’on pratique dans la conjoncture présente ne fasse du Maroc en peu d’années un pays intellectuellement sous développé. Si les responsables ne s’en rendaient pas compte, on n’assisterait pas à ce fait paradoxal que pas un fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas, n’envoie ses enfants dans des écoles marocaines. On prône la culture arabe, mais on se bat aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Le résultat apparaîtra d’ici peu d’années, il y aura au Maroc deux classes sociales : celle des privilégiés qui auront bénéficié d’une culture occidentale donnée avec éclat et grâce ä laquelle ils occuperont les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées dans les conditions actuelles et qui les cantonneront dans les cadres subalternes. Avec de la patience et de la méthode on eut pu aboutir à un tout autre résultat, qui permettrait de donner à tous les enfants des chances égales d’avenir.

Le Ministère de l’Education Nationale ne parait pas répondre aux services qu’on attend de lui. On ne saurait dire que l’ordre et la compétence y triomphent, cependant que les éléments marocains les plus valables et soucieux de l’avenir de leur pays sont attaqués dans l’Istiqlal. Les dossiers importants sont parfois partagés entre trois services sans que le cabinet laisse jouer au Secrétariat général son rôle normal de coordination. Le Ministre ne semble pas désirer les contacts. A part la visite de courtoisie que j’ai pu faire après ma nomination, je n’ai jamais eu l’occasion de m’entretenir avec lui. Le Directeur de l’Enseignement supérieur, dont dépend la Faculté, ne répond généralement pas aux lettres. Les mesures les plus importantes sont improvisées, et il m’est arrivé de les apprendre par leur publication au journal officiel sans que j’aie té consulté. C’est ainsi qu’à la mi-octobre 1960, on a décidé en quelques heures de créer une propédeutique et des certificats de licence marocaine de langue française, sans que les programmes aient été au préalable étudiés et que les incidences de ces initiatives aient été mesurées. J’ai appris ces décisions en prenant connaissance de textes polycopiés déposés sur le bureau de ma secrétaire. Il est impossible de faire un travail efficace avec une technique si contraire ä la bonne administration. S’il est un domaine en effet où l’improvisation a des conséquences redoutables pour l’avenir, c’est Enseignement. On ne semble pas s’en douter.

Sa Majesté m’a appelé à Rabat pour promouvoir la culture marocaine, et non pour être complice de sa ruine. Je me suis donc retiré, laissant à d’autres les responsabilités d’une politique universitaire qui me parait imprudente et vouée à l’échec. Je répète que le Maroc est totalement libre de choisir la politique culturelle qui lui semble la meilleure, mais c’est à des Marocains qu’il doit en confier l’application. C’est pour cela que j’ai sollicité du Ministre mon remplacement par un doyen marocain. Un autre point me parait grave quoique d’un autre ordre, c’est celui de la situation faite aux fonctionnaires français qui sont en place, telle que j’ai pu l’apprécier par ma propre expérience. Que le Maroc les remplace par des nationaux, cela est tout à fait normal, mais qu’il ne leur témoigne pas des égards auxquels ils ont droit, cela me parait difficile à admettre. Depuis trois ans, j’ai consacré la majeure partie de mon temps au Maroc sans autre rémunération que le remboursement partiel de mes frais. Je l’ai fait volontiers, mais que l’on m’ait placé à plusieurs reprises devant le fait accompli alors que j’avais la responsabilité de la marche de la Faculté, cela ne saurait être admis par un homme conscient de sa dignité. Faire toutes les besognes officielles, et être tenu à l’écart des décisions fondamentales, c’est pour un doyen une position morale qu’il lui est impossible de supporter. Quand par exemple, le Recteur organise un banquet en l’honneur de son collègue de l’Université de Paris, le Professeur Debré, et qu’il y invite mon adjoint M. Ben Bachir sans m’y convier moi même, bien qu’il sache ma présence à Rabat, il pratique une ségrégation regrettable qui m’oblige à me souvenir que le soir de la Celle Saint-Cloud, j’étais l’hôte de Sa Majesté au premier dîner en l’honneur du Maroc indépendant. Je puis mesurer par ce seul fait les changements qui se sont produits depuis cinq ans.

A la cérémonie émouvante qui a marqué mon départ, et à laquelle assistaient de nombreux marocains et français, j’ai été salué par un professeur, fonctionnaire du rectorat, et par le vice-doyen de la faculté. Le ministre n’était pas présent, et pas d’avantage le directeur de l’enseignement supérieur. Ce sont les Marocains qui ont éprouvé le plus de gène. Si j’ai reçu une lettre très aimable du recteur, le ministre n’a pas cru devoir me témoigner la reconnaissance du Maroc, soit en m’écrivant, soit en me recevant. Par contre, l’ambassadeur de France et le conseiller de la Mission culturelle dont je ne dépendais en aucune mesure et qui ont toujours strictement respecté l’autonomie de la Faculté, m’ont réservé à plusieurs reprises le meilleur accueil. Je me serais abstenu de signaler l’attitude à mon égard du Ministre de l’Education Nationale si elle n’avait entraîné des conséquences sur lesquelles je vous serais obligé de bien vouloir attirer l’attention de Sa Majesté. Depuis le 10 mai dernier (2), date à laquelle j’ai donné ma démission, j’ai écrit à plusieurs reprises au Ministre pour l’informer de la situation. II n’a pas jugé utile de m’accorder un entretien. Avant de retourner au Maroc, je l’ai informé que je serais à Rabat, pour un dernier séjour, à partir du 13 Octobre et que je me tiendrais à sa disposition. J’avais l’intention de le prier de solliciter pour moi une audience de sa Majesté. Fonctionnaire chérifien, je devais en tant que français donner l’exemple du respect de la voie hiérarchique qui s’impose à tous. M’adresser directement au Palais, sans passer par l’intermédiaire de mon ministre eut manqué aux règles les plus impératives de l’Administration. Mon Ministre ne me convoquait pas, j’ai été mis dans l’impossibilité à mon grand regret de présenter à Sa Majesté mes remerciements pour la confiance qu’elle m’a toujours témoignée.

Croyez mon ami à mes souvenirs les meilleurs.
Charles André Julien, professeur à la Sorbonne ».

Source : Centre d’Histoire de Sciences Po Paris

Un article détaillé sur Charles-André Julien est publié sur le numéro de Juin 2012 du magazine Zamane.

Gouvernement Benkirane : le pouvoir est ailleurs

Quiconque aura suivi les premiers pas de Benkirane à la tête du gouvernement marocain, ne manquera pas de se rendre compte que le monsieur ne manque pas de remarquer sa bonne volonté de réformer ce qu’il y a à réformer. Sa décision la plus courageuse pour le moment, à mon avis, aura été d’annuler un PV autorisant 4000 diplomés chomeurs à intégrer la fonction publique sans concours. Son prédécesseur, soucieux d’éviter “صداع الراس “, s’était empressé de signer cette promesse, contre toutes les lois régissant la fonction publique… Mais aura-t-il les mains libres pour secouer le cocotier, et mener à bien les réformes qu’il a promis aux marocains?

Un des premiers leviers pour réussir des réformes est d’avoir la main sur ces dizaines d’entreprises publiques qui disposent de moyens financiers colossaux, et de matière grise généralement bien formée. Le projet de loi régissant les nominations à la tête des établissements publics, actuellement en examen au parlement, mérite que l’on s’y attarde. Conformément à l’article 92 de la Constitution (dont je parlais ici il y a un an), le conseil des ministres (présidé par le roi) et le conseil du gouvernement (présidé par le chef du gouvernement), ont chacun une liste de responsables à nommer. La liste contenue dans le projet de loi est très révélatrice sur l’Etat d’esprit du Makhzen : vider l’action gouvernementale de sa substance en faisant porter la responsabilité de plusieurs secteurs à des hauts fonctionnaires nommés par le palais. Comment le chef de gouvernement ou un de ses ministres peut-il sanctionner ou superviser un fonctionnaire qu’il n’a pas nommé?

Prenons l’exemple du ministère de l’énergie et des mines. Parmi les entreprises publiques mises sous la tutelle de ce ministère, on retrouve : l’OCP, l’Office National des Hydocarbures et des Mines (ONHYM), l’Office National d’Electricité (ONE) et la Société d’Investissements Energétiques (SIE). Or, la nomination des dirigeants de ces entreprises, se fait, d’après le projet de loi actuellement au parlement, par le roi. Problème : le ministère de l’énergie et des mines est complètement vidé de sa substance sans ces entreprises. Il aura beau dessiner les stratégies qu’il voudra, réclamer les budgets dont il a besoin, il n’a aucun pouvoir sur ces entreprises publiques, puisqu’il n’a nommé aucun de ces dirigeants et ne dispose d’aucun pouvoir de sanction à leur égard. Le même raisonnement s’applique, par exemple, au ministère de l’habitat qui n’a pas de pouvoir sur le dirigeant d’Al Omrane…

Un cas pratique de cette incapacité d’un ministre à mettre au pas une entreprise publique, s’est présenté lors de l’épisode des cahiers de charge des chaines de télévision publique. Nous voici devant le cas d’un ministre, issu d’un parti ayant remporté des élections, proposant de changer les cahiers de charges régissant deux groupes de télévisions publiques : la SNRT et 2M. Mais fait imprévu, les deux directeur généraux de ces chaines, fonctionnaires de l’Etat, sous la tutelle de ce même ministre, s’insurgent contre ces cahiers de charges, les qualifiant de tous les noms, tout en dénonçant le projet rétrograde du PJD sur le champ audiovisuel. Tout cela parce que M. El Khalfi a demandé aux chaines publiques de diffuser les appels à la prière et la prière du vendredi ?

Dans toute démocratie qui se respecte, cet épisode aurait donné lui au limogeage immédiat des deux directeurs généraux. S’insurger contre ces cahiers de charge, alors qu’ils ne représentent nullement le pouvoir politique élu est inadmissible. Ce ne sont que de simples fonctionnaires chargés d’exécuter la volonté démocratique d’un parti (ou coalition) au pouvoir. Mais voilà le roi qui intervient et demande le réexamen de ces cahiers de charge. Quelques jours après, une commission interministérielle est chargée de les réexaminer. Son président? Le ministre de l’habitat…

Mais revenons encore une fois à cette fameuse liste d’établissements publics. Comment explique-t-on que la Constitution parle d’entreprises stratégiques, alors qu’on retrouve dans cette liste des établissements comme la MAP, l’Agence d’Aménagement du Bouregreg, l’Agence d’Aménagement de Mar Chica, la Fondation Marocaine des Musées et même la Société Marocaine d’Encouragement du Cheval (chargée de tout ce qui est courses de chevaux, tiercé, quarté & co)! En quoi ces entreprises sont stratégiques pour le Maroc?!!

Ce ne sont que des exemples, pour ceux qui en avaient encore besoin, que le pouvoir (le vrai…) dans ce pays n’est pas entre les mains d’institutions élues, mais reste concentré aux mains du Makhzen, jusqu’à nouvel ordre. Si, comme le stipule le projet de loi sur les nominations, le roi a les pouvoirs de nommer les directeurs des chaines publiques, le chef de gouvernement devra se contenter du Centre Cinématographique Marocain et du Théatre National Mohammed V. On n’est pas sortis de l’auberge…

Et si vous avez besoin d’images à mettre sur le fait que les ministres, issus des urnes, passent toujours après le Makhzen, rappelez vous de la cérémonie d’accueil du président tunisien Moncef Marzouki à l’aéroport de Rabat. Ceux qui détiennent le pouvoir (certains ont même perdu les dernières élections), sont au cabinet royal, et saluent le président tunisien en premier (Entre 1:25 et 1:47). Les autres? Ils ne viennent qu’en second lieu 🙂

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Comparatif des tarifs d’eau et d’électricité au Maroc

Les récentes émeutes dans plusieurs villes marocaines, dont Marrakech et Taza, avaient pour revendications (entre autres), la baisse des factures d’eau et électricité, que les habitants jugent élevés. D’autres manifestations avaient eu lieu auparavant à Casablanca, Rabat et Tanger pour dénoncer des hausses inexpliquées de ces factures.

Le secteur de distribution d’eau et d’électricité relève de 3 types d’acteurs, selon les villes :

  • Les régies de distribution autonomes
  • Les régies concédées à des opérateurs privés. Elles ne concernent pour le moment que les villes (et environs) de Casablanca (Lydec), Rabat (Redal), Tanger et Tétouan (Amendis)
  • L’ONEP et l’ONE

Certaines villes sont desservies à la fois par l’ONE ou l’ONEP (distribution d’eau ou électricité) en même temps qu’une régie autonome.

Les tarifs des régies et ceux de l’ONEP ou l’ONE sont régis par décret ministériel de l’autorité de tutelle (Ministère de l’Intérieur). Ceux des régies concédées sont négociés selon le contrat de gestion délégué qui lie les villes aux opérateurs privés.

Qu’en est-il vraiment des tarifs? Existe-t-il des différences flagrantes entre les villes marocaines? En cherchant l’information, on se rend compte que la majorité des distributeurs sont relativement transparents sur les tarifs pratiqués. Il les affichent sur leurs sites web, avec un niveau de détail assez satisfaisant.

Les régies qui n’affichent pas les tarifs de leurs services sont celles de :

Celles qui affichent clairement leurs tarifs sont celles de :

Tarifs de l’eau :

Les distributeurs se fournissent généralement auprès de l’ONEP, qui leur facture un prix qui dépend de l’accessibilité des ressources en eau de la régie et le degré de facilité de son exploitation (barrages, sources, nappes phréatiques…). Ceci explique en partie l’écart enregistré entre les différentes villes de notre benchmark ci-dessous.

Les tranches (qui peuvent légèrement varier d’une ville à l’autre) sont définies comme suit :

  • Tranche 1 : 0 à 8 m3 par mois
  • Tranche 2 : 8 à 20 m3 par mois
  • Tranche 3 : Plus de 20 m3 par mois

On remarque clairement que le tarif le moins cher est appliqué au niveau de Larache, alors que les plus chers sont au niveau de Oujda, Casablanca et Safi.

Et si vous trouvez que les tarifs pour une tonne d’eau sont chers (1 m3 = 1000 litres = 1 tonne), demandez aux habitants de douars ou ceux qui se fournissent auprès des fontaines d’eau (seqqayas) le prix qu’ils paient pour acheter quelques litres d’eau, et vous serez très surpris.

Assainissement :

Les prix pour les services d’assainissement sont payés par les consommateurs comme redevance aux distributeurs pour procéder à l’assainissement des eaux usées consommées.

Les tranches appliquées sont les mêmes que pour la consommation de l’eau :

Le benchmark fait ressortir que les tarifs les plus chers d’assainissement sont au niveau de Casablanca, Mohammedia et Marrakech.

Electricité :

Là aussi, les distributeurs se fournissent auprès de l’ONE. Les tranches de consommation sont de l’ordre :

  • Tranche 1 : 0 à 100 KWh
  • Tranche 2 : 101 à 200 KWh
  • Tranche 3 : 201 à 500 KWh
  • Tranche 4 : Plus de 501 KWh

Les tarifs sont relativement uniformes dans les villes marocaines. Tanger se distingue cependant par des tarifs relativement supérieurs au reste des villes marocaines.

Simulation :

Afin de pouvoir comparer différents profils de consommateurs, on peut établir trois groupes de consommateurs types :

  • Petit consommateur : Reste systématiquement dans la 1ère tranche des 3 produits
  • Consommateur moyen : Reste systématiquement dans la 2ème tranche des 3 produits
  • Gros consommateur : Se situe à la 3ème tranche des 3 produits
Le tableau suivant détaille les chiffres de la simulation :

Pour les petits consommateurs, Casablanca et Tanger sont les villes où l’ont paye la facture la plus élevée. Pour les gros et moyens consommateurs, Casablanca est la ville la plus chère.

Larache quant à elle, est la ville où les factures sont les moins élevées de notre benchmark.

A ces tarifs, il faut rajouter 14% de TVA pour l’électricité, et 7% de TVA sur l’eau et assainissement. D’autres frais viennent s’ajouter à la facturation de la consommation : la taxe audiovisuelle (que l’actuel gouvernement compte supprimer pour les petits et moyens consommateurs), des redevances fixes de consommation (de l’ordre de 6 à 7 DH pour l’eau), des frais de location du compteur (si, si…), des frais d’entretien…

Ce sont ces éléments, qui ne sont pas systématiquement communiqués aux consommateurs (sauf dans les factures), qui donnent l’impression de payer cher sa facture d’eau et d’électricité.

Les habitants de Taza et Marrakech ont-ils raison de manifester contre les factures d’eau et d’électricité? Le benchmark actuel ne permet pas de le penser (pour Marrakech en tout cas, faute de données sur Taza).

Une des raisons qui peuvent expliquer ces factures élevées et le fait qu’une pratique est assez répandue dans les quartiers populaires : Plusieurs familles/foyers sont connectées au même compteurs d’eau et d’électricité. La consommation commune passe très souvent à la 3ème tranche (voire la 4ème pour l’électricité), beaucoup plus chère que les 2 premières, et font donc exploser la facture commune (à diviser entre les familles/foyers). Avoir des compteurs séparés (même si cela n’est pas toujours possible…), permettrait de maintenir sa consommation au niveau de la 1ère ou de la 2ème tranche, aux prix nettement plus abordables.

Autre élément important à prendre en compte : le pouvoir d’achat de ces villes n’est pas le même que celui de Casablanca ou de Rabat par exemple. Elles représentent une part non négligeable du budget des ménages à revenus réduits ou moyens.

Pourquoi ne pas prendre exemple de certaines expériences internationales? Celle de Bogotá (Colombie) par exemple est très intéressante. La ville est divisée en plusieurs secteurs (pauvres, moyens et riches). Les habitants des quartiers pauvres payent un tarif beaucoup moins élevé que ceux des quartiers riches. Ces mêmes riches payent un tarif plus élevé que la moyenne, pour permettre de subventionner les rabais accordés aux quartiers pauvres. Une sorte de caisse de compensation équilibrée au niveau de la ville.

En attendant, les émeutes des villes sont gérées d’une manière quasi-exclusivement sécuritaires, en excluant tout recours, pour le moment, à des solutions plus intelligentes et plus innovantes, notamment au niveau de la tarification.

Comment l’Iran a reformé sa caisse de compensation

Quand on lit les déclarations des responsables marocains sur la réforme de la Caisse de Compensation, on se demande parfois s’ils ont pris le soin de voir comment d’autres pays ont pu réformer des caisses comparables dans le monde. Les exemples les plus connus restent le Brésil (programme Bolsa Familia [1] [2] [3]), l’Indonésie ou le Mexique (avec le fameux programme “Oportunidades“). Mais il y a un exemple qui a récemment fait parler de lui, et a même reçu les compliments du Fonds Monétaire International. Celui de l’Iran.

Contrairement aux programme brésilien ou mexicain, qui consistent en des transferts ciblés de la subvention à des populations pauvres, contre l’obligation d’alphabétisation et d’accès aux soins, le programme iranien a adopté une approche différente: des transferts directs, mais non ciblés. Tous les iraniens qui le souhaitent, peuvent recevoir une subvention du gouvernement, sans aucune condition de revenus. Chaque membre d’une famille s’est vu occtroyer l’équivalent de 40 dollars américains par mois (plafonnée à 6 membres), sur une simple inscription administrative, et sans aucune condition de revenu maximal. Au total, près de 80% des iraniens se sont inscrits pour recevoir cette aide.

La caisse de compensation iranienne avait atteint la taille phénoménale de 60 à 100 milliards de dollars (soit un ordre de grandeur proche du budget de l’Etat marocain), vu que les iraniens payaient jusqu’au moment de la réforme leur essence à 2 cents américains le litre! Cela engendrait, comme au Maroc d’ailleurs, des comportements économiquement irrationnels. On connait tous l’exemple de ces entreprises ou individus qui utilisent des bonbonnes de gaz (fortement subventionnées) pour des installations industrielles ou les fabricants des boissons gazeuses qui utilisent le sucre subventionné pour leurs produits qui ne devraient pas l’être.

Au lendemain de la réforme iranienne, les prix des matières subventionnées ont bondi pour certains de 400 à 2000%! Mais le choc a été très bien amorti, vu l’intense campagne de communication menée par le gouvernement. Mais bien avant la suppression de la subvention, les iraniens avaient déjà reçu la subvention mensuelle sur leurs comptes bancaires. Et pour faire d’une pierre deux coups, les transferts d’argent ont justement obligé des millions d’iraniens d’ouvrir des comptes bancaires, améliorant très sensiblement le taux de bancarisation dans le pays, et donc les ressources pour le financement de l’économie. Le revers de la médaille? Une inflation qui atteint des sommets : 10% en 2010. Mais difficile de dire si cette inflation ne résulte plutôt pas des sanctions économiques contre l’Iran.

Est-ce qu’une telle mesure pourrait être appliquée au Maroc? Faisons un calcul simple : si l’Etat venait à distribuer 400 DH par mois par personne, et en supposant que 80% des marocains s’inscriraient volontairement au programme, on arriverait à un montant de 115 milliards de DH, soit plus que le double de ce qu’a consommé la caisse de compensation au Maroc. Une subvention de 100 DH par personne ferait passer ce montant à 29 milliards de DH, ce qui est déjà sensiblement inférieur aux 52 milliards enregistrés en 2011. La mise en place des mécanismes d’aide conditionnée au Maroc pourraient se relever beaucoup plus difficiles que prévues. Les problèmes de corruption et de détournement des subventions ne tarderaient pas à survenir si un tel programme avait à être mis en place. De plus, l’argent bénéficierait directement aux familles, et rationaliserait l’usage des denrées subventionnées.

La réforme radicale de ce gouffre financier devient plus urgente que jamais. La taille de la caisse n’a jamais été aussi importante, et pourrait bien exploser cette année, si jamais ces mêmes iraniens venaient à être bombardés par Israël…

 

Quelques liens :

 

Stop TGV : Cessez la gabegie!

Au moment où l’économie mondiale connait un ralentissement sans précédent depuis la 2ème guerre mondiale, où l’économie marocaine risque d’être fortement impactée par les malaises des voisins européens, il y a de ces folies que l’ont ne peut plus se permettre.

Longuement discutée sur ce blog, cette aberration appelée TGV marocain continue de faire parler d’elle, mais cette fois-ci grâce à un collectif d’associations marocaines, regroupées pour demander l’arrêt de ce projet inutile dans un pays qui a tant besoin de ses ressources financières pour financer d’autres projets plus prioritaires.

Que peut-on réaliser avec les 25 milliards de DH allouées au projet? Beaucoup de choses :

  • 5 000 écoles ou 3,000 lycées en zone urbaine
  • 25 000 écoles en zone rurale
  • 100 grandes écoles d’ingénieurs ou 300 instituts de formation techniques totalement équipés
  • 25 grands centres universitaires hospitaliers totalement équipés et d’une capacité globale de 22 000 lits
  • 6 000 hectares viabilisés de zones industrielles (36,000 unités industrielles)
  • 16 000 centres socioculturels, bibliothèques ou maisons de quartiers
  • 10 000 médiathèques
  • 16 000 kilomètres de routes rurales

Ne peut-on pas apprendre, pour une fois, des erreurs d’autres pays qui ont opté, ou souhaitaient opter pour les trains à grande vitesse? Le Portugal, soucieux de préserver les deniers publics en ces temps de crise, a reporté le projet de liaison TGV entre Lisbonne et Madrid. L’Argentine, faute de financement, a abandonné l’idée de construction de lignes aussi coûteuses. La France se rend compte que l’exploitation des lignes à grande vitesse est un gouffre financier.

Le Maroc, très mal classé en matière de développement humain parmi les pays arabes, et qui devrait connaitre un déficit budgétaire de 7%, niveau jamais atteint depuis les années 80, continue de s’entêter pour réaliser ce projet/gouffre financier. Et contrairement à l’idée largement répandue, ce projet ne devrait pas être uniquement financé par la France.

Le projet du TGV est financé à hauteur de 5,8 milliards de DH en provenance du budget de l’Etat et du Fonds Hassan II pour le développement économique et social, 1,9 milliard de DH sous forme de dons français et européens et 12,3 milliards de DH sous forme de prêts avantageux consentis par la France et la Banque européenne d’investissement.

Pour résumer, 5,8 milliards du budget de l’Etat (de la poche des marocains donc), 1,9 milliards comme dons européens et français, et 12,3 milliards sous forme de prêts, qui devront dans tout les cas être remboursés par l’Etat marocain (toujours ces pauvres marocains donc…). 2 milliards de dons sur les 20 à 25 prévus pour la construction donc…

Durant les derniers mois, on a entendu ici et là, que les prix des billets devraient être abordables pour une bonne partie des marocains. Supposons que cela est vrai. Compte tenu des coûts exorbitants de l’exploitation de ce type de lignes, cela impliquerait aussi que les prix soient fortement subventionnés, avec comme principale conséquence un gouffre financier pour l’ONCF. 25 milliards à dépenser aujourd’hui, et Dieu sait combien pour garantir l’équilibre financier de l’ONCF dans le futur.

Demandons tous que cette aberration de TGV cesse, et que l’argent  prévu pour le projet serve à financer des projets beaucoup plus vitaux pour les marocains.

Signez la pétition Stop TGV !

 

ADSL : L’incompréhensible monopole de Maroc Telecom

 

Au Maroc, quiconque souhaiterait s’affranchir de la souffrance d’une connexion Internet via une clé 3G, se dirige vers une option : obtenir un abonnement ADSL. Problème : il n’a pas le choix, et doit obligatoirement s’orienter vers Maroc Telecom.

Alors qu’on assiste à un environnement de plus en plus concurrentiel sur le segment de la téléphonie mobile, l’accès ADSL reste le parent pauvre de la concurrence des acteurs de télécommunication au Maroc. Des efforts marqués ont été déployés ces 2 dernières années pour faire baisser les prix des communications mobiles prépayées et post-payées. L’ANRT situe la baisse du prix moyen de 1,12 DH /min à 0,74 DH / min, soit -34% en à peine un an !

Pourquoi le segment ADSL reste-t-il aussi fermé à la concurrence ? De nombreuses raisons pourraient l’expliquer. Tout d’abord, hormis des infrastructures de fibre optique détenues par Méditel et Wana, Maroc Telecom reste le seul opérateur à détenir un réseau fixe au pays. Et ceci pour des raisons historiques évidentes. Du temps des PTT et de l’ONPT, le seul moyen d’acheminer le téléphone aux foyers marocains était la bonne vieille paire de cuivre classique. Maroc Telecom continue de gérer ce réseau et de l’étendre, mais d’une manière beaucoup plus lente que les réseaux mobiles.

Pour éviter que les opérateurs historiques n’aient le monopole sur l’ADSL (technologie qui ne peut transiter que sur réseau fixe), les régulateurs ont instauré une pratique très commune dans d’autres coins du Globe : le dégroupage. Tout opérateur qui souhaite commercialiser des offres ADSL doit s’acquitter auprès de l’opérateur historique (à qui appartient le réseau fixe) d’une redevance qui correspond à un « loyer » de la ligne fixe. Ce dégroupage peut être partiel, si l’abonné choisit d’avoir un abonnement téléphonique classique avec l’opérateur historique et un autre abonnement ADSL avec un opérateur différent, ou total si l’abonné choisit de ne plus payer aucun abonnement à l’opérateur historique.

L’équation est alors simple pour un opérateur ADSL. Si le prix de la redevance est suffisamment bas pour permettre de proposer un abonnement ADSL à prix attractif, le jeu en vaut la chandelle. Sinon, l’opérateur préfère proposer d’autres solutions à ses clients pour accéder à Internet.

Et c’est justement la voie suivie par Méditel et Wana. La redevance (fixée par l’ANRT) à payer à Maroc Telecom est jugée trop élevée. Celle-ci est de 100 Dh HT par mois à payer par l’opérateur ADSL à Maroc Telecom. Ces opérateurs se sont donc tournés massivement vers la technologie 3G qui permet d’offrir des débits relativement élevés pour des réseaux mobiles, mais sans atteindre le confort d’utilisation qu’offre l’ADSL.

Une autre raison explique le succès de la 3G au Maroc : la faible pénétration des réseaux fixes. Il est de l’ordre de 11% à fin 2011, ce qui reste très faible pour un pays du niveau de développement du Maroc. Méditel et Wana (et même Maroc Telecom) ont donc préféré parier sur la 3G, plutôt que d’équiper de nouveaux foyers en réseaux fixes. Les investissements peuvent être lourds, et le retour sur investissement pas du tout certain.

En attendant l’arrivée de la 4G (ou LTE) au Maroc, (c’est à dire pas avant 3 ou 4 ans), les réseaux 3G continueront à être saturés.

Que faire face à de tels problèmes? Le rôle de l’ANRT est primordial. Pour fixer la redevance de dégroupage, qui est depuis janvier 2011 de 73 Dh TTC, le régulateur avait effectué un benchmark international sur un certain nombre de pays. Le prix pratique en France par exemple est de 9€ à verser par les opérateurs alternatifs à France Telecom.

Il est grand temps aujourd’hui que l’ANRT prenne l’initiative et réduise ce tarif. On avait bien vu comment l’agence avait cédé aux pressions, et a procédé à la réduction des tarifs d’interconnexion entre réseaux mobiles, entraînant une grosse baisse sur les tarifs de communication entre réseaux GSM.

Alors que d’autres pays investissent massivement dans des réseaux de fibre optique à domicile, nous en sommes toujours à souffrir devant les débits ridicules de la 3G. L’ADSL reste aujourd’hui un des rares bastions de non-concurrence dans le paysage des télécommunications au Maroc. Et il est temps que Maroc Telecom lâche le contrôle de cette vache à lait qu’est le réseau fixe et l’ADSL.

Politique fiction : Ces années Benkirane…

Tout le monde l’attendait. Le gouvernement Benkirane a fini par voir le jour, après de longues tractations avec les partis et le  palais. Ce dernier refusait de voir certaines personnes aux commandes des ministères les plus sensibles, et a apporté son lot de retouches avant la validation finale de l’équipe Benkirane. Le vote de confiance se passe sans encombres au Parlement. Le chef de gouvernement, qui sait que les attentes des marocains vis-à-vis de son gouvernement sont immenses, annonce une cinquantaine de mesures urgentes à concrétiser durant les 100 premiers jours de son mandat. Ils incluent, entre autres, l’annulation des agréments (transport, carrières, pêche…), l’ouverture d’enquêtes judiciaires dans tous les dossiers soulevés dans les derniers rapports de la Cour des Comptes, la création d’un fonds de solidarité alimenté par de nouvelles taxes sur les banques, assurances et opérateurs de télécommunications, le lancement de la réforme de la caisse de compensation…

La réponse ne tarde pas à arriver. Une grève générale des transports paralyse le pays, et les détenteurs d’agréments réclament le retrait immédiat des réformes. 100 jours après, le bilan est très mitigé. Benkirane demande un peu d’indulgence, vu que la grande majorité des ministres sont des novices et que l’administration marocaine est très lente dans le traitement de ces dossiers. D’autant plus qu’une bonne partie des lois requises pour ces actions, est bloquée au Secrétariat Général du Gouvernement, tenu, rappelons le, par un ministre nommé par le palais…

La conjoncture internationale n’est pas non plus en faveur du gouvernement. La crise économique européenne est à son apogée. Les exportations marocaines sont au plus bas, le déficit de la balance commerciale explose, les transferts des MRE se tassent. Les touristes, européens pour la plupart, visitent de moins en moins le Maroc, préférant épargner pour les temps difficiles à venir en Europe. Face à ces indicateurs au rouge, Benkirane se retrouve avec une marge de manœuvre de plus en plus réduite dans la réalisation des réformes économiques qu’il avait promises. Au bout d’un an au pouvoir, les langues de certains ministres se délient, et dénoncent les instructions incessantes qu’ils reçoivent du cabinet royal. Dans l’impossibilité de refuser quoi que ce soit, ils se contentent d’exécuter des actions tout à fait contraires au programme gouvernemental.

La terrible sécheresse de l’année 2013 n’arrange pas les choses. Un niveau de pluviométrie excessivement bas entraîne un très faible volume de récoltes. Le désespoir est grand dans les campagnes. Des milliers de villageois s’installent dans les périphéries urbaines, espérant trouver du travail dans les villes. Sur les marchés internationaux, les prix des matières premières explosent. Les importations de pétrole sont à leur plus haut niveau historique, et le Maroc est obligé d’importer la quasi-totalité de ses besoins en céréales. La Caisse de compensation, qui n’a été que partiellement réformée, ne peut plus supporter tout le fardeau de la variation des prix. Le gouvernement décide de répercuter une bonne partie de la variation sur les marocains. La réponse ne tarde pas. Des quartiers entiers de Casablanca, ainsi que des habitants de Benguerir et de Sidi Ifni sortent dans des manifestations massives contre la vie chère. Des bâtiments administratifs sont brûlés, et les forces de l’ordre sont débordées, et utilisent les gaz lacrymogènes à profusion. A Benguerir, on compte 5 morts asphyxiés par ces gaz. La situation est explosive. Des émeutes se répandent à d’autres villes. Comprenant que l’heure est grave, Benkirane intervient à la télévision, et annonce l’annulation des augmentations sur les produits de base. Mais il est également obligé d’annoncer un programme de rigueur sans précédent, et l’arrêt de certains grands chantiers. Celui du TGV, lancé 2 ans auparavant s’arrête au stade du remblayage. Benkirane opère également un changement à son équipe. De nouvelles têtes rejoignent le gouvernement, en espérant lui donner un nouveau souffle. Les manifestations s’arrêtent. La gestion de la rigueur peut commencer.

Entre temps, des dossiers de corruption de hauts fonctionnaires éclatent dans la presse. Benkirane ordonne un rapide examen des dossiers, mais la lenteur de la machine judiciaire ne l’aide pas… Une autre affaire ne passe pas inaperçue. Addoha et la SNI se seraient vu céder des terrains du domaine de l’Etat en plein centre ville de Casablanca à des prix dérisoires. L’affaire ne passe pas, et le doyen des parlementaires marocains, Abdelouahed (Mac Leod) Radi interpelle violemment le chef du gouvernement. L’affaire fait grand bruit, mais Benkirane ne cède pas, et affirme que la transaction s’est passée dans le plus strict respect des règles de cession des terrains publics. En réalité, tout le monde sait qu’il n’y peut pas grand chose, vu que la transaction a été “commandée” au plus haut niveau de l’Etat. Les marocains prennent soudain conscience que les espoirs suscités par Benkirane étaient exagérés, que la marge de manœuvre accordée par la Constitution de 2011 et par le makhzen au chef de gouvernement est réduite. Le vrai pouvoir se trouve ailleurs.

A l’occasion du 3ème anniversaire du mouvement du 20 février, des manifestations géantes, jamais vues depuis l’indépendance du Maroc, arpentent les villes marocaines. 1 million de manifestants selon la police, 2 millions selon les organisateurs. Le succès est franc. Les manifestants réclament une assemblée constituante, une transparence complète sur les affaires qui ont éclaboussé le mandat de Benkirane et la chute du Makhzen. Le chef de gouvernement se réfugie dans le mutisme. Contrairement aux manifestations de 2011, les manifestants du mouvement du 20 février s’installent dans les plus grandes places des villes marocaines. Place des Nations Unies à Casablanca, Place Bab El Had à Rabat, Bab Doukkala à Marrakech… Des comités locaux dans toutes les villes marocaines  relaient le mouvement. La vague s’annonce nettement plus imposante et mieux organisée que 2011. Le mouvement semble avoir appris de ses erreurs.

Sur ordre du Haut Conseil de Sécurité, organe créé par la Constitution de 2011, et dont le contrôle échappe complètement au Chef de Gouvernement, les sit-in de protestations sont violemment dispersés. Les tirs à balles réelles fusent. Bilan : 78 morts. Les condamnations internationales se succèdent, et tout le pays s’embrase.  Jamais depuis le début des années 90, le pouvoir n’avait osé tirer à balles réelles sur des marocains. Le choc est profond. Des manifestations reprennent de plus belles, et des morts continuent de tomber. On entend désormais, ici et là, des slogans qui réclament la chute du régime, et non plus de simples réformes constitutionnelles.

Benkirane présente sa démission avec fracas. Il a compris, tardivement, que sa marge de manœuvre était extrêmement réduite. Après les années du PJD au pouvoir, le Makhzen ne trouve plus de fusibles aptes à jouer de la figuration pendant quelques années de plus. Aucune autre alternative ne devient crédible aux yeux des marocains…

Le pays sombre dans le chaos…

Volontairement alarmiste et pessimiste pour l’avenir du Maroc, ce petit exercice n’a pour but que d’exprimer mes craintes, partagées par beaucoup, sur l’évolution des choses au Maroc. Les “réformes” entreprises jusque là ne semblent avoir qu’un seul but : s’acheter du temps, et s’épargner encore quelques mois de calme et de prospérité. Si de véritables réformes, dont certaines bien douloureuses, ne sont pas entreprises, le pays risque malheureusement le pire pour les années à venir.

Marocains, le Makhzen vous emmerde

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les marocains ont vécu des moments historiques ces 2 dernières semaines.

Tout d’abord, la victoire écrasante du PJD aux élections. Malgré toutes les critiques que l’ont puisse émettre envers le processus électoral, il semble que la volonté des marocains a été globalement respectée. La victoire du PJD aurait été encore plus écrasante si le mode de scrutin et le découpage avaient été plus équitables. Mais ce ne sera que partie remise pour les échéances à venir. Le combat sur ces points essentiels doit continuer. Les marocains n’ont tout de même pas oublié de remarquer la débandade du PAM et de son cheval de Troie makhzanéen RNI. Toutes leurs gesticulations ces derniers mois ont été vaines et inutiles. Le G8 ressemble plus aujourd’hui à un “G Rien”…

Le deuxième évènement, reste la nomination de Abdelilah Benkirane comme Chef de Gouvernement. Alors que beaucoup s’attendaient à ce que Saadeddine Othmani, ex-dirigeant du PJD soit nommé à la tête du gouvernement, notamment pour ses qualités de diplomatie et de conciliation avec le Makhzen, Benkirane s’est imposé comme un choix incontournable. On aurait quand même bien pu rigoler en ayant un psychiatre comme Othmani à la tête du gouvernement d’un pays réputé pour sa schizophrénie chronique 🙂 Mais avec les tractations que mène Benkirane, on se dirige, semble-t-il, vers un gouvernement formé par la PJD, l’Istiqlol, le Mouvement Populaire et le PPS. Des islamistes qui siègent au même gouvernement que des ex-communistes. On aura tout vu au Blad Schizo!

Après une semaine d’euphorie, où les attentes des marocains vis-à-vis du prochain gouvernement PJD restent énormes, le Makhzen n’a pas manqué de réagir. Non pas une, ni deux, mais trois claques ont été distribuées en moins de 48h.

Tout d’abord, la nomination de 28 ambassadeurs. Il s’agit d’un acte strictement encadré par la Constitution adoptée en juillet dernier. La loi suprême du pays stipule très clairement dans son article 49 :

“Le Conseil des ministres délibère … de la nomination sur proposition du Chef du Gouvernement et à l’initiative du ministre concerné, aux emplois civils… d’ambassadeur…”

L’article 55 stipule quant à lui :

“Le Roi accrédite les ambassadeurs auprès des puissances étrangères et des organismes internationaux.”

En reconstituant le processus, on obtient donc :

Le Chef de Gouvernement propose les ambassadeurs (à l’initiative du ministre des affaires étrangères), le Conseil des ministres (présidé par le roi) en délibère puis le roi accrédite ces ambassadeurs.

Or, en consultant les comptes rendus des conseils des ministres, publiés par le Secrétariat Général du Gouvernement, on s’aperçoit que la nomination des ambassadeurs n’a été approuvée dans aucun de ces conseils.

De par la même constitution, Abbas El Fassi, est toujours Chef de Gouvernement, jusqu’à ce que Abdelilah Benkirane obtienne le vote de confiance du Parlement.

En omettant l’étape de délibération par le Conseil des ministres, on s’aperçoit que le processus constitutionnel de nomination des ambassadeurs a été clairement violé.

En est-on à la première violation de la nouvelle constitution? Il semble que non. Plusieurs constitutionnalistes, dont le Pr. Abdelkader Bayna, éminent professeur de Droit Constitutionnel à Rabat avaient souligné que les élections du 25 novembre ne pouvaient être tenues qu’après dissolution de l’ancien parlement. Ce qui n’a jamais été fait!

Que faire quand un citoyen estime que la constitution de son pays a été violée? Il devrait se diriger vers la Cour Constitutionnelle, censée être le protecteur ultime de la loi suprême. Mais quand on sait que le roi nomme son président et la moitié de ses membres (directement et indirectement), on connait d’avance la réponse à toute saisine de ce type…

Deuxième claque de la semaine, la nomination de Yasser Zenagui, actuel ministre RNI du tourisme au sein de cabinet royal. Beaucoup diront qu’une nomination au sein du cabinet royal relève du périmètre exclusif du roi, mais quand on connait la puissance de celui-ci au sein des institutions marocaines, on ne peut s’empêcher de rester dubitatif devant une telle nomination. Comment peut-on admettre qu’un ministre d’un gouvernement sortant, appartenant à un parti sévèrement sanctionné par les marocains aux élections, puisse accéder à des fonctions au sein d’une institution connue pour être le vrai gouvernement d’ombre au Maroc? Sans citer les allégations sur les conflits d’intérêt incestueux de M. Zenagui qui détient un gros fonds d’investissement touristique (Sienna Investment Group) tout en étant ministre du tourisme…

La troisième claque (de quasi-KO) nous est venue de la nomination de Fouad Ali El Himma comme conseiller au cabinet royal. Nous voici devant un personnage dont les marocains réclament la chute depuis une dizaine de mois, qui a fondé un parti qui s’est pris une sévère défaite aux dernières élections, et qui de plus, est haï et détesté par le PJD, parti vainqueur des élections. Benkirane qui n’a cessé de traiter El Himma de tous les noms, le comparant à Oufkir et Basri, ou en appelant le roi à l’écarter. Le pauvre chef de gouvernement désigné s’est finalement résigné à appeler son pire adversaire pour le féliciter.

Nous voila donc devant 3 claques affligées aux marocains. Votez pour la constitution que vous voulez (aussi critiquable soit-elle), votez pour le parti que vous voulez, manifestez autant que vous voulez, le makhzen fera ce qu’il veut, et s’entourera de qui il veut.

Marocains, il ne vous reste que Dieu à implorer, et vos yeux pour pleurer.

الله يلطف بهاد البلاد أو صافي

 

Elections du 25 novembre : nouvelle supercherie du Makhzen?

Il y a quelques semaines, j’avais proposé à travers ce blog une douzaine de mesures visant à restaurer la confiance des marocains dans les élections. Je savais pertinemment qu’une bonne majorité est irréalisable, pour la simple raison que le Makhzen tient coûte que coûte à garder les choses sous son contrôle. A quelques jours des élections “historiques” du 25 novembre, les marocains peuvent s’apercevoir que les règles n’ont pratiquement pas changé. Retour sur ces 12 points :

1-Les élections sont toujours organisées de bout en bout par le Ministère de l’Intérieur. Une instance indépendante n’est toujours pas d’actualité.

2- Le découpage électoral s’est fait cette fois-ci selon les provinces, sauf pour les grandes villes, et là aussi avec des exceptions. Rabat se retrouve avec 2 circonscriptions, tout comme Fès et Taroudant. Marrakech est divisé en 3, alors que Tanger ne dispose que d’une seule circonscription. Par ailleurs, il est judicieux de comparer la population de chaque province avec le nombre de sièges qui lui sont alloués au parlement. Les résultats sont édifiants. Il faut par exemple 5 fois moins de voix pour se faire élire à Aouserd (ou Boujdour) qu’à Tanger. Le rapport est de 1 siège pour 36 000 habitants à Aouserd contre 178 000 à Tanger. Où est le principe de base d’égalité des chances entre candidats? On l’aura compris, le Makhzen préfère placer les siens dans les provinces reculées avec un faible nombre de voix nécessaires pour se faire élire, et laisser les partis s’entre-tuer dans des provinces surpeuplées, où aucune majorité claire ne pourrait être obtenue.

3- L’obligation de vote n’a pas été instaurée. Point très controversé, mais qui ne devrait, à mon avis, être discuté qu’après avoir satisfait toutes les conditions de scrutin transparent…

4- Les marocains votent toujours en un scrutin de liste à plus forte reste. Beaucoup réclament un retour au scrutin uninominal à un ou deux tours pour que la notion d’élu du quartier revienne, et que la répartition des sièges soit plus fidèle au nombre de voix exprimées.

5- Seul point positif dans cette liste, le vote avec la carte nationale d’identité a été instauré pour la première fois. C’est une concession du Ministère de l’Intérieur qui tenait à la fameuse carte d’électeurs. Seul bémol, certaines personnes rapportent que les nouvelles cartes nationales d’identité ne sont plus distribuées depuis quelques semaines, et que le Ministère de l’Intérieur les retient dans ses tiroirs. Bourrage d’urnes en perspective? Je préfère ne pas y penser…

6- Inscription automatique sur les listes électorales : Là encore, rien n’a été fait. La révision des listes électorales a été ouverte quelques semaines avant les élections du 25 novembre. Le résultat est décevant seuls 13 millions de marocains sont inscrits, sur un potentiel de plus de 20 millions en âge de voter. Le plus surprenant, c’est que le nombre des inscrits a baissé de 2 millions par rapport aux chiffres de 2007! Où sont-ils passés? Avec cet effet de baisse du nombre d’inscrits, le taux de participation ne peux qu’augmenter! Soyons lucides, le Makhzen n’a aucun intérêt à voir débarquer 7 millions d’électeurs sur la scène d’un coup. Surtout quand le premier parti a gagné les élections de 2007 en n’obtenant que 500 000 voix!

7- Vote sans enveloppe : Petite mesure qui aurait pu réduire la fraude, mais là encore, aucune nouveauté.

8- Baccalauréat au minimum pour chaque candidat : Encore une fois, les marocains sont confrontés à une pléthore d’analphabètes, même s’il faut avouer qu’une bonne partie des formations politiques ont fait un effort en présentant des candidats plutôt instruits.

9- Audit fiscal pour les entreprises possédées par les candidats : Pas de nouveau non plus dans ce sens. Et quand on voit le profil de certains candidats connus pour leur affairisme, cela n’est franchement pas rassurant…

10- Casier judiciaire vierge pour tout candidat : Plusieurs m’ont confirmé qu’une loi existe dans ce sens mais qu’elle n’est juste pas appliquée. A Rabat par exemple, un élu multirécidiviste, réputé pour ses achats massifs de voix, et exilé depuis 2 ans au Canada, est rentré précipitamment pour briguer un siège au Parlement. Il est assuré de le gagner, et on se retrouvera encore une fois avec un ripoux au parlement. Faute d’application de la loi.

11- On ne sait toujours pas comment marche le système informatique du ministère de l’Intéroeur. Si ça se trouve, il ne sait probablement pas faire des additions correctement. Cher Makhzen, on veut le code source du Hassoub Al Markazi!

12- Ce qui n’était censé être qu’une blague s’est révélé encore une fois vrai. Abdelouahed (Mac Leod) Radi brigue un nième mandat de député. Et cette fois-ci, il a trouvé une très bonne excuse : s’il ne se fait pas élire député, puis président de la chambre des représentants, le Maroc perd son siège de président de l’Union Parlementaire Internationale. Vous ne voulez surtout pas que ça arrive, hein? 🙂

On se rend compte finalement que pratiquement rien n’a changé dans les conditions d’organisation du scrutin.

Effrayé devant la perspective d’une participation aussi ridicule que celle de 2007, le Makhzen panique. Premières victimes, tous ceux qui appellent au boycott. Les arrestations des membres des coordination du mouvement 20 février ne se comptent plus, les tracts de Nahj ont été illégalement saisis, et les affiches et spots publicitaires appellent à voter à tue-tête.

Que proposent nos partis? Monts et merveilles. J’avoue que je n’ai parcouru que superficiellement les programmes des partis (comme disait Jacques Chirac “Les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient”), mais un détail mérite d’être soulevé. Ils promettent tous un taux de croissance du PIB supérieur à 6% (8% pour certains…). Comment pourront-ils s’y prendre alors que ce taux s’est établi en moyenne à 4,5% sur la dernière décennie? Comment peuvent-ils être aussi optimistes alors que l’Europe, notre premier partenaire économique, s’apprête à faire face à une crise sans précédent. Et le Maroc dépend fortement de la santé de ce partenaire (exports, tourisme, transferts des MRE…). Et je vous épargne les autres fantaisies des partis. Y en a-t-il, par exemple, un seul qui a suffisamment de courage pour expliquer aux marocains la douloureuse réforme des retraites qui s’annonce?

Pire encore, certains leaders de partis makhzanéen, osent affirmer qu’ils sont prêts à s’opposer aux conseillers du roi s’il le fallait, alors que l’épisode de retrait de la loi des finances est encore dans toutes les mémoires. Ce même RNI a quand même l’affront de promettre le changement aux marocains, alors qu’il fait partie de tous les gouvernements depuis 1977! Seul les partis communistes chinois et cubains ont, semble-t-il une meilleure performance…

La seule bonne nouvelle dans tout ce cirque, est que le PAM est relativement en retrait par rapport aux autres élections (rappelez vous qu’il s’était classé 1er aux élections municipales de 2009!). Normal, après les slogans du mouvement du 20 février, ni le PAM, ni son mentor, n’ont intérêt à trop se montrer. Mauvaise nouvelle, ils préfèrent mandater le RNI (mieux vendable), qui joue au Cheval de Troie, et  mène l’alliance makhzanéenne également appelée G8.

Que faire le 25 novembre? Voter pour le moins pire des partis, ou boycotter? J’avoue que je n’ai toujours pas de réponse. Voter reviendrait à cautionner le système dans lequel se déroulent ces élections : constitution non démocratique, conditions loin d’être optimales (cf. plus haut), candidats véreux… D’un autre coté, les 5 prochaines années sont cruciales pour le Maroc. Non pas pour des enjeux politiques (le pouvoir restera ailleurs…), mais surtout pour les aspects économiques (crise européenne, finances de l’Etat…) et sociaux (réforme du système des retraites, réforme inévitable de la caisse de la compensation…). Peut-on se permettre de laisser les mains libres aux mêmes personnes qui ont mené le pays à la dérive ces 50 dernières années? L’équation est difficile…

 

Quelques liens :