Dans l’édition 2023 de son rapport annuel qui fait référence, Partech classe le Maroc 5ème au niveau africain en termes de levées de fonds pour startups tech, juste derrière les Big 4 historiques (Afrique du Sud, Nigeria, Egypte et Kenya) avec des levées totalisant 93 US$M pour 17 deals.
Certes, ce chiffre inclut 62 US$M levés par CashPlus, mais même retraitée de ce deal, la position du Maroc reste plus qu’honorable, relativement à celle d’il y a quelques années, surtout dans un contexte de mondial de recul des levées de fonds.
On compte aujourd’hui une dizaine de fonds actifs sur le marché marocain, contre seulement 2 ou 3 il y a 7-8 ans. Le programme Innov Invest de Tamwilcom porte ses fruits, et d’autres programmes publics devraient s’ajouter pour mettre plus de financement à disposition d’entrepreneurs innovants marocains.
Aujourd’hui, si vous avez un projet innovant, prometteur, avec des fondateurs de qualité et un positionnement marché intéressant, vous ne devriez pas avoir trop de mal à convaincre un des 10 fonds VC de la place pour lever des fonds jusqu’à 10-15 MDH. La difficulté se situe plus dans des levées plus importants, où nous avons clairement un déficit, surtout pour des tickets entre 15 et 50 MDH, encore trop grands pour les fonds VC locaux, et trop petits pour des fonds de Private Equity marocains.
Alors peut-on faire mieux et faire partie des Big 4 africains dans les 5 prochaines années? Ca s’annonce plus compliqué pour plusieurs raisons :
1- Les fonds capables d’investir des centaines de millions de USD dans des startups marocaines sont surtout étrangers. Or ceux-ci ont pour important critère d’investissement la taille des marchés investis. Le Maroc souffre de la taille, relativement réduite, de son marché, ainsi que de son manque flagrant d’intégration régionale. Les Big 4 disposent de marchés de plus de 100 millions d’habitants (Egypte et Nigéria) ou sont très bien intégrés régionalement (Afrique du Sud et son hinterland historique, et le Kenya leader des économies de l’Afrique de l’Est). Le Maroc n’est malheureusement ni l’un, ni l’autre.
2- Le secteur qui attire le plus de fonds en Afrique est la Fintech (et dans une moindre mesure la Climatech). Or le Maroc a une position ambigüe en la matière : nous avons d’un côté un taux de bancarisation/intégration financière qui approche des 50-60%, loin devant l’Afrique subsaharienne (~10% de taux de bancarisation) où le potentiel marché est encore énorme, mais aussi loin derrière les taux en Europe qui frôlent les 100%. Nous avons également un marché financier dominé (pour ne pas dire verrouillé) par les banques, avec un régulateur Bank Al-Maghrib, très conservateur dans son approche et pour qui, il est beaucoup plus important d’avoir des acteurs financièrement solides, plutôt que de nouveaux outsiders innovants. C’est une approche qui se respecte, mais qui est très discutable si on veut voir émerger une réelle innovation dans le secteur avec des acteurs qui disruptent le marché (cf point suivant).
3- Le Maroc a une économie conservatrice et rentière. Nous sommes loin d’avoir une économie schumpéterienne qui favorise la création destructrice : pour innover, il faut forcément détruire d’anciens paradigmes. Or pour beaucoup de raisons (qu’il est inutile de détailler ici), des secteurs entiers restent à l’abri de l’innovation, afin de maintenir des positions dominantes d’acteurs traditionnels. De plus, la réglementation très stricte ne favorise absolument pas l’émergence de nouveaux acteurs dans des secteurs minés par les dysfonctionnements : finance, assurance, mobilité urbaine, drones…
4- Paradoxalement, l’Etat marocain déploie de plus en plus d’effort pour le financement des startups innovantes, mais n’achète quasiment pas les produits innovants de ces mêmes startups. Le secteur public reste le premier donneur d’ordre du pays, mais préfère dans une large mesure s’approvisionner auprès d’acteurs étrangers pour ses besoins technologiques. Or, je reste convaincu que beaucoup de problématiques marocaines ne peuvent être adressées que par des startups qui comprennent les problématiques et enjeux locaux, sans oublier le facteur coût qui devrait normalement favoriser les startups marocaines, ainsi que les enjeux de souveraineté qui s’imposent dans un contexte géopolitique globalement instable.
Pour conclure, il est important de maintenir les acquis actuels en termes de financement de l’innovation, mais de penser sérieusement aux entraves qui nous empêchent de passer au niveau supérieur. Si on veut continuer de garder nos startupers au Maroc.
Cette tribune a été publiée par Telquel.