Le dictateur est tombé. La Tunisie respire et savoure sa révolution des jasmins construite sur le sang de dizaines de martyrs. Jamais un état arabe ne s’était débarrassé de la sorte de son dictateur. Seuls la Faucheuse, un putsch ou une invasion étrangère pouvaient les écarter de leurs confortables fauteuils.
Tirer à balles réelles sur les manifestants aura été la goute qui a fait débordé le vase des tunisiens. Ils n’en pouvaient plus de ce régime mafieux, oppressant et sanguinaire. Et le soutien de l’armée fut crucial dans ce combat. Fidèle à un principe de non-ingérence qui datait de l’ère Bourguiba, elle a obligé Ben Ali à fuir pour éviter un bain de sang. A noter que l’armée tunisienne ne dispose que de 35 000 hommes contre 120 000 hommes pour la police! C’est dire le degré de “policiarisation” du pays!
Maintenant, la question que se posent beaucoup : est-ce que cette révolution sera contagieuse?
Quoique disent les dirigeants arabes et leurs agences de presse, aucun régime arabe n’est considéré par les standards internationaux comme démocratique, ni même hybride. Ils sont tous classifiés comme autoritaires, doux euphémisme dont héritent également certaines dictatures sanguinaires.
Mais les conditions sont loin d’être les mêmes pour tous les pays. Si dans une très grande majorité, le pouvoir est soutenu par l’armée, des subtilités existent. Certains prétextent un état d’urgence instauré depuis les premières guerres contre Israël, d’autres invoquent les spécificités religieuses et culturelles de leurs peuples, sans oublier ceux qui prétendent avoir dépassé le stade de la démocratie et avoir atteint la perfection en terme de gouvernance (se référer au chapitre correspondant dans le Livre Vert).
Qu’en est-il au Maroc? Peut-on s’attendre à des évènements similaires?
Mis à part chez d’irréductibles 9% nihilistes, la monarchie marocaine reste très populaire. Le fameux sondage du Monde/Telquel l’avait bien confirmé à ceux qui en doutaient encore.
La situation économique est par contre assez similaire. Dépourvus de richesses pétrolières, les deux pays comptent beaucoup sur le tourisme ainsi que l’industrie et services tournés vers l’export comme importants générateurs d’emploi et de rentrées en devises. La crise mondiale a eu des effets négatifs sur les carnets de commande et du coup sur l’emploi, surtout dans le secteur du textile. Par ailleurs, les taux de chômage des jeunes reste très important, à une différence près pour la Tunisie qui “produit” plus de diplômés de l’enseignement supérieur (comparés à la population totale).
Les Trabelsi/Ben Ali avaient constitué un clan tentaculaire qui a pris le contrôle d’une très grande partie de l’économie tunisienne. On retrouvait leurs traces dans tous les secteurs (les plus juteux surtout), et n’hésitaient pas à mettre à genou leurs concurrents sans se soucier d’aucune règle de droit. Beaucoup de chefs d’entreprises tunisiens préféraient garder des parts de marché modestes dans leurs secteurs, et faire profil bas, plutôt que de devenir trop voyants et de susciter des convoitises inutiles de la part du clan régnant.
Au Maroc, il existe un terme pour définir cette sphère économique qui bénéficie des faveurs et de la proximité avec le pouvoir : le “Makhzen économique”. On est certes loin de l’hégémonie des Trabelsi/Ben Ali, mais certains secteurs sont loin d’être tout à fait concurrentiels. Prenez par exemple celui du sucre, de l’huile, ou de la grande distribution. Et les faveurs du pouvoir ne manquent pas pour certains acteurs de l’immobilier, de la finance, de l’agriculture, voire même des panneaux publicitaires!
Les investisseurs étrangers souhaitant s’installer au Maroc s’en plaignaient souvent et déchantaient très vite à l’idée d’investir dans des secteurs “pas très fair”. La fusion ONA/SNI et son intention de réduire ses participations dans ses filiales agro-alimentaires vient sans doute après des pressions européennes dans le cadre de l’accord du Statut Avancé entre le Maroc et l’Union Européenne.
Et le PAM dans tout cela? Peut-on vraiment comparer le RCD tunisien à notre PAM national? Si la proximité au pouvoir est commune aux deux, les schémas sont totalement différents. D’un coté nous avons un parti quasi-unique baignant aux cotés d’une opposition fantoche, et d’un autre, un parti makhzanéen dont la création remonte à 3 ans, qui rafle tout ce que le pays compte comme opportunistes et qui a pour principal but d’affaiblir les autres formations politiques et de servir les intérêts obscurs du Makhzen. Celui-ci devrait être conscient que le rôle d’un parti politique est surtout d’encadrer les citoyens et de porter leurs revendications. Créez le vide politique, et ces revendications finiront par s’exprimer dans la rue, avec tout le risque de violences que cela peut engendrer.
Sur le plan de la liberté d’expression, la différence reste tout de même notable. Si la presse et les médias étaient complètement muselés et Internet largement censuré en Tunisie, une certaine marge de manœuvre existe au Maroc. Mais avec la fermeture de plusieurs journaux et magazines, et les condamnations lourdes de journalistes, ces libertés sont entrain de reculer sérieusement.
On n’a peut-être pas besoin d’une révolution au Maroc, mais on a besoin d’une très sérieuse remise en question de tout ce qui a été fait durant les dix dernières années dans le pays. Des réorientations politiques et des réformes constitutionnelles sont nécessaires pour corriger le tir. Et qu’on arrête de nous dire qu’il faut arbitrer entre respect des libertés et prospérité économique. L’un ne peut marcher sans l’autre. La Tunisie en est aujourd’hui la preuve.
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