«J’appelle tous les gouvernements à taxer ces profits excessifs, et à utiliser ces fonds pour soutenir les plus vulnérables en ces temps diffciles». C’est ainsi que s’exprimait Antonio Guterres, le Secrétaire Général de l’ONU le 3 août 2022, à propos des superprofits réalisés par les sociétés pétrolières et gazières, qui profitent du contexte géopolitique mondial pour engranger des bénéfices records.
Depuis début 2022, plusieurs pays ont ainsi sauté le pas, et instauré des impôts exceptionnels sur les secteurs ayant profité ayant profité le plus de la conjoncture internationale, mélant la guerre d’Ukraine, le contexte post-Covid et les premières conséquences du changement climatique.
En Italie, l’impôt sur les superprofits est passé de 10% en mars 2022 à 25% en mai 2022 sur les géants de l’énergie.
En Grèce, la taxe sur les profits des producteurs d’électricité est passée à 90%.
En Espagne, le gouvernement a d’ores et déjà annoncé une taxe exceptionnelle sur les banques et les grandes sociétés énergétiques.
En France, la décision de taxer les superprofits des géants de l’énergie est actée, et une taxe additionnelle sur les “superdividedes” est également en cours de discussion.
Quid du Maroc? Si on ne connait pas encore le contenu exacte de la Loi des Finances 2023 (à la date d’écriture de ces lignes), Medias24 avait annoncé la volonté du gouvernement de surtaxer certains secteurs oligopolistiques. Lesquels? Aucune décision formelle pour le moment, mais le débat risque d’être animé au Parlement.
Comment choisir ces secteurs? Si la Direction Générale des Impôts dispose de données annuelles sur les croissances de chiffre d’affaires et marges nettes réalisées par les entreprises, l’utilisation des données des sociétés côtées à la Bourse de Casablanca (BVC) permet d’avoir des données trimestrielles ou semestrielles plus récentes.
Les sociétés côtées à la BVC sont représentatives de la quasi-totalité des secteurs de l’économie marocaine (à l’exception notable du secteur agricole), ce qui permet d’avoir une vue globale des secteurs surperformeurs en ces temps de disette.
En analysant les données financières sur 4 ans d’une trentaine de sociétés côtées les plus importantes et les plus représentatives de leur secteurs respectifs, on peut identifier les secteurs à surtaxer en priorité.
On peut retenir trois paramètres principaux pour décider ou non la surtaxation des profits :
J’ai lu (quasiment toutes) les 170 pages du rapport de la Commission du Nouveau Modèle de Développement. Très joli rapport comme prévu (au vu de la qualité des membres), mais malheureusement avec beaucoup de wishful thinking.
Le diagnostic n’a rien de nouveau et terrifiant en même temps. Il reprend ce qui a été dit pendant ces 10-15 dernières années sur les problèmes du Maroc. La Fondation Abderrahim Bouabid avait par exemple sorti un rapport en 2010 sur les problèmes entravant le développement du Maroc, et les rédacteurs étaient traités de nihilistes rétrogrades incapables de voir tous les progrès faits par le Maroc. Si on se base sur ce diagnostic fait par le rapport du CSMD, on devrait virer TOUS les responsables sur les 20 dernières années et ne plus jamais les rappeler. Or, c’est exactement le contraire qui se passe. A chaque vague de nominations, un jeu de chaises musicales se met en place, n’épargnant que les plus âgés, fatigués et usés après des décennies de service.
Les remèdes proposés sont nombreux et détaillés dans une annexe à part (pour les plus téméraires). Certains sont déjà en cours d’application (comme la couverture sociale généralisée), d’autres sont en contradiction avec ce qui se fait en ce moment même.
Quelques exemples :
– Le rapport (p. 77) insiste sur l’importance d’avoir des médias autonomes (et donc indépendants). Or, une concentration des TV publiques (SNRT, 2M et Medi1TV) est en cours dans un seul et unique pôle publique, dans ce qui risque de devenir une Pyongyang TV. Nous sommes en 2021, et il n’y a toujours aucune TV privée au Maroc (à part Chada TV qui diffuse des clips à la Rotana).
– Le rapport (p. 153) recommande “le renouvellement régulier de la haute fonction publique nationale et locale est un défi auquel il convient d’accorder la plus haute importance à travers des mécanismes de renforcement de son attractivité, d’identification et de sélection d’un vivier de compétences, de valorisation de leadership pour leur permettre de prendre des initiatives pour la résolution de problèmes complexes, sans crainte de sanction, et de valorisation de l’expérience dans les territoires”. C’est justement le contraire qui s’est passé ces dernières années. Les récentes colères successives ont dissuadé les hauts fonctionnaires honnêtes et innovants de postuler à des responsabilités plus élevées. Pourquoi? Plus ils montent en grade, plus le risque de subir une colère inexpliquée et arbitraire augmente. Résultat, des postes importants peuvent rester vacants pendant des années (SG du ministère des finances par exemple, avant qu’il ne soit occupé par M. Chorfi, et à nouveau libre, après son départ à la retraite).
– “Le renforcement des libertés individuelles et publiques et leur protection par le système judiciaire sont une condition nécessaire à la création d’un climat de confiance et à la libération des énergies.” (p. 74). C’est tout le contraire qui se passe chez les journalistes libres. Les arrestations n’en finissent pas, et les derniers cas devant nous sont ceux de Omar Radi, et Soulaimane Raissouni, en grève de la faim depuis 49 jours, et en très sérieux danger de mort.
Alors oui, il y a des propositions qui me plaisent bien, comme celle de déléguer certains services publics à des entreprises sociales (p. 101). On pourrait confier la collecte des déchets recyclables à des coopératives de chifonniers, la gestion d’une crêche à une association, l’exploitation de terrains en friche à des coopératives agricoles…
D’autres objectifs sont tout aussi nobles (et ils sont très nombreux dans le rapport), mais les rapports précédents (Cosef 2000, Cinquentenaire 2005), étaient tout aussi explicites sur beaucoup d’autres objectifs, sans succès malheureusement.
Le rapport occulte (évidemment) le noeud du problème du Maroc : son système politique. Aucune réforme profonde n’est possible au Maroc sans réforme du système politique et l’instauration d’une véritable monarchie parlementaire, avec une réelle reddition des comptes et une indépendance des pouvoirs.
Le rapport s’étale par exemple beaucoup sur les conflits d’intérêts et de la nécessité que les institutions constitutionnelles fassent leur travail. On a tous suivi le feuilleton du conseil de la concurrence vs. le lobby des pétroliers. Ils s’en sont sortis indemnes.
Ou alors comment expliquer qu’un président de région et le maire d’une ville, soient condamnés en appel à de la prison ferme pour détournement de fonds publics, mais continuent à exercer leurs fonctions comme si de rien n’était (le recours en cassation n’est pas suspensif de la peine de prison).
Le problème n’est donc pas l’existence d’institutions constitutionnelles, mais leur réelle indépendance dans leur prise de décision.
Autre exemple : le rapport insiste beaucoup sur la régionalisation avancée qui doit s’appuier très largement sur les walis et non sur les conseils élus (dépourvus de moyens et de prérogatives). Comment qualifie-t-on un système où un wali intervient à la place d’un élu, même pour choisir l’espèce d’arbres à planter sur un trottoir?
Le rapport appelle également à abolir la rente sous toutes ses formes. Pourquoi voulez vous que le système politique l’abolisse alors qu’il en vit depuis des siècles? C’est le meilleur moyen de fidéliser un cercle restreint servant de bouclier à toute épreuve.
Pour résumer : il s’agit d’un rapport avec un diagnostic connu, des remèdes sympathiques, mais souvent homéopathiques. Et un sort tout tracé, à l’image du Rapport du Cinquantenaire : consommation médiatique intense pendant quelques jours et application sélective des recommendations, en fonction des intérêts du moment.
Pendant des dizaines d’années au Maroc, le prix des hydrocarbures était subventionné ET réglementé au Maroc. L’État accordait une subvention aux hydrocarbures via la caisse de compensation. Il fixait en même temps le prix maximum à la pompe. Mais depuis 2013, le gouvernement Benkirane a progressivement levé cette subvention, pour l’annuler complètement début 2015. Dès lors, les hydrocarbures n’étaient plus subventionnés, mais leur prix maximum était toujours fixé par l’État, considérant que c’est une denrée sensible et essentielle à toute économie (tout comme les médicaments par exemple). Mais depuis décembre 2015, Benkirane décide la libéralisation totale de ces prix, laissant au marché le soin de les fixer. La concurrence devait donc jouer théoriquement son rôle pour faire baisser les prix et offrir au consommateur le meilleur rapport qualité prix.
Sauf que depuis cette date, il faut être dupe pour ne pas se rendre compte de l’augmentation sensible des prix des hydrocarbures à la pompe. Malgré la baisse du prix du baril en 2016, et surtout en 2017, les prix ne variaient que très peu à la baisse. Mais toute hausse du baril était systématiquement et rapidement répercutée sur les consommateurs. Ceci alimentait une forte suspicion d’entente sur les prix, pour permettre aux distributeurs d’hydrocarbures d’engranger un maximum de bénéfices possibles.
Le Conseil de la Concurrence en état de paralysie totale, faute de nomination de son Président et de ses membres, était (et est toujours) dans l’incapacité d’enquêter sur cette éventuelle entente, et d’infliger des amendes aux distributeurs de carburants si une entente sur les prix ou un abus de position dominante avait été constaté.
Le fait que Aziz Akhennouch (Afriquia, RNI), Mbarka Bouaida (Petrom, RNI) et Rkia Derham (Atlas Sahara, en quasi-duopole de distributeur de carburant dans les provinces du Sahara, USFP) soient membres du gouvernement actuel (et de celui de Benkirane pour les deux premiers) renforce cette suspicion de connivence entre l’exécutif et le secteur de distribution d’hydrocarbures.
Pour ne rien arranger aux choses, le rapport produit par la commission exploratoire parlementaire sur les prix des hydrocarbures exonère les distributeurs de toute responsabilité dans l’augmentation des prix, et considère que l’État est le plus grand gagnant dans la libéralisation des prix, et que les prix au Maroc sont parmi les plus bas de la région (!!). Une première version de ce rapport qui a fuité dans la presse, a au contraire incriminé les pétroliers d’avoir outrageusement augmenté leurs marges depuis la libéralisation des prix en décembre 2015.
Qu’en est-il vraiment?
A l’examen des comptes 2015 et publiés sur Inforisk ou par l’OMPIC, ainsi que sur le site de l’AMMC (en ce qui concerne Total Maroc cotée en bourse), l’analyse des marges est plus qu’édifiante.
Augmentation de la marge brute de 1,5 à 3,3 fois entre 2015 et 2016
La marge brute est la différence entre le prix d’achat des marchandises revendues et le prix de leur vente. Dans le cas des distributeurs d’hydrocarbures, il s’agit à plus de 95% de carburants. Le reste étant surtout des huiles de vidange et autres produits complémentaires vendus dans les stations services.
En analysant les comptes des 4 plus grands distributeurs du marché, totalisant une part de marché de 72%, la marge brute a progressé entre 2015 et 2016 (soit avant et après la libéralisation des prix) de 1,5 fois pour Afriquia à plus de 3,3 fois pour Total Maroc. (Les comptes 2015 de Petrom n’étaient pas disponibles).
Une marge nette jusqu’à 8% pour Total Maroc !
La marge nette est le rapport entre le résultat net (c’est-à-dire le gain après avoir soustrait toutes les charges d’achat et de fonctionnement) et le chiffre d’affaires des distributeurs. Les marges nettes ont tout simplement explosé après la libéralisation des prix en décembre 2015.
Des distributeurs comme Vivo Energy (Shell) qui ne faisaient qu’un petit 1,4% de marge nette, a multiplié sa marge par 4 pour atteindre 5,7%. De même pour Afriquia et Total Maroc.
Cette dernière, réalise par exemple pour le même chiffre d’affaires de 10,5 milliards de DH, un bénéfice de 800 millions de DH en 2016, contre “seulement” 400 millions de DH en 2015.
Le gain additionnel de ces sociétés en quelques mois est tout simplement phénoménal. En multipliant le volume écoulé sur le marché marocain par la marge supplémentaire engrangée par ces distributeurs, on arrive à un chiffre entre 15 et 17 milliards de DH en 30 mois de libéralisation des prix. Une partie de cette manne (20 à 30%) est allé dans les caisses de l’Etat sous forme d’impôt sur les sociétés, mais la majeure partie est allée renflouer les poches des actionnaires de ces sociétés, dont certains se retrouvent propulsés au premier rang des personnes les plus riches au Maroc.
Faut-il récupérer cet argent, indument prélevé des poches des marocains? Oui. Ces sociétés ont profité des connivences entre politiques et business pour passer des réformes en leur faveur, sans aucun contrôle de l’État. Comment le récupérer? En temps normal, le Conseil de la Concurrence aurait pu enquêter sur l’absence de concurrence entre ces sociétés et sur les prix très proches pratiqués par celle-ci. La loi permet d’infliger des amendes proportionnelles au chiffre d’affaires en cas d’infraction avérée. Le Conseil de la Concurrence étant hors service pour le moment, cet argent doit être récupéré via des taxes exceptionnelles, mais non rétroactive, puisque la loi l’interdit. Une innovation fiscale plus que nécessaire pour rétablir, ne serait-ce qu’un semblant de justice fiscale dans ce pays.
Les chiffres annoncés par le groupe chinois Haite pour son futur parc industriel à Tanger donnent le tournis: 10 milliards de dollars d’investissement sur 10 ans. 100.000 emplois créés par 200 compagnies installées sur 2.000 hectares.
L’ambitieux plan dévoilé en 2016 par le sulfureux Ilyas El Omari a d’abord été accueilli par un prudent scepticisme, la société porteuse du projet n’employant que mille personnes dans sa Chine natale. De plus, le timing de l’annonce pendant une période pré-électorale, propice à des promesses qui “n’engagent que ceux qui y croient” – comme disait Jacques Chirac, la rendait encore moins crédible.
Mais depuis mars dernier, cette promesse porte désormais une caution royale, matérialisée par une inauguration par le Souverain. Est-ce une garantie de réalisation? Pas si sûr.
L’histoire récente du Maroc regorge de contre-exemples trop vite oubliés.
En 1997, le PDG du conglomérat coréen Daewoo avait annoncé à Hassan II son intention de construire des unités de fabrication de produits électroniques et automobiles. Une énorme parcelle de terrain jouxtant la route nationale du côté de Nouaceur a même été réservée au projet. Vingt ans après, rien n’est sorti de terre.
En 2006, le groupe émirati Emaar avait promis, devant Mohammed VI, un investissement de 3 milliards de dollars dans un projet de réhabilitation de la façade atlantique de Rabat sur 331 hectares. Aujourd’hui, seul subsiste un bureau de vente fantôme sur la corniche de Rabat.
Emaar s’était aussi engagé la même année à investir 1,4 milliard de dollars sur 600 hectares à la station de ski d’Oukaïmden, afin de la mettre au niveau des plus grandes stations des Alpes! Là aussi, hormis quelques articles de presse, nulle concrétisation.
Certes, le Maroc a réussi de grands coups en termes d’investissements étrangers, à l’image de celui de Renault Tanger Med (qui aurait pu tomber à l’eau sans l’intervention salvatrice de la CDG en 2009), ou celui en cours de PSA à Kénitra. Or, montés et structurés méticuleusement par des équipes qui ne cherchaient pas que l’effet d’annonce, ces projets obéissaient à une logique industrielle faisant partie d’une stratégie globale de ces groupes.
Autrement, le Maroc est trop souvent la victime consentante d’annonces démesurées de groupes étrangers cherchant à gonfler artificiellement leur cours boursier, à obtenir des facilités dans leurs propres pays ou à servir les ambitions purement personnelles de leurs dirigeants.
Ces projets fantômes recèlent des dangers bien réels: ils risquent de créer un effet d’éviction vis-à-vis des investisseurs sérieux, lesquels peuvent être refroidis par la raréfaction du foncier qui en découle, par la pénurie de main d’œuvre dans tel bassin d’emploi ou par l’engorgement des capacités logistiques sur telle voie ferrée ou port à proximité.
D’où la tentation de chercher d’autres pays plus propices à leurs investissements. Tout l’enjeu pour le Maroc est de mieux comprendre les circuits de prise de décision chez les grands investisseurs, et leurs plans à moyen et long termes. Cela nous éviterait de bien malheureuses aventures.
Ne nous avait-on pas prévenus à l’école de ne pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué? A fortiori quand il s’agit d’un panda.
Tribune initialement publiée le 7 juillet 2017 sur Medias24
C’est un fait : le service public assuré par l’ONCF est plus que déplorable. Retards, encombrement, problèmes d’aération et de climatisation, propreté… On ne compte plus les désagréments que fait subir l’ONCF à ses clients. Mais jusqu’à quel point ce service est-il dégradé?
Pour y répondre, un petit groupe de 3 personnes, usagers réguliers de la ligne Rabat – Casablanca, ont noté tous leurs trajets (un total de 100) sur une durée de 45 jours (entre le 15 septembre et le 30 octobre 2014).
Le constat est édifiant.
42% de trains en retard
Quand peut-on considérer qu’un train est en retard? Pour un trajet d’une heure, comme celui de Rabat – Casablanca, une arrivée après 5 min de l’heure prévue, est considérée comme un retard. Il s’ agit de la définition adoptée par la SNCF française, et par l’ONCF en interne. La mesure de cet indicateur sur les 100 trains fait ressortir un taux de retard très élevé de 42% (et 17% de retards de plus de 15 min, sur un trajet d’une heure).
A quoi sont dus ces retards? L’ONCF ne vous le dira pas. Mais d’après les observations, ils dont souvent dus à une mauvaise organisation, à des problèmes de coordination et de communication, et à des défaillances du matériel. Très peu sont dus à des accidents sur la voie. Pire, l’ONCF n’avertit que très rarement ses passagers sur ces retards. Plusieurs agents peuvent se trouver sur un quai de la gare, mais sont incapables de vous dire quand arrivera ou démarrera un train, ou même quelques fois, lequel démarrera parmi ceux qui sont stationnés dans la gare.
A signaler qu’un des trains de l’échantillon a effectué le trajet Casablanca – Rabat en 2h20, après une panne matérielle au milieu de nul part. Le conducteur n’a même pas trouvé utile d’en informer les passagers après 30 minutes à l’arrêt. La réaction naturelle des passagers a été d’occuper la voie ferrée et de bloquer le trafic en attendant l’arrivée de responsables de l’ONCF et d’un train les ramenant chez eux.
32% de trains non climatisés
Plutôt de parler de climatisation sur les trains ONCF, on devrait plutôt parler d’aération. Le génie qui a commandé les trains italiens a peut être oublié que le Maroc était un pays relativement chaud et qu’il serait utile d’avoir des fenêtres dans les rames. Que nenni! Si la clim ne fonctionne pas, sans oxygène tu crèveras! En plus d’avoir des fenêtres minuscules, celle-ci sont souvent condamnées et donc impossible à ouvrir. Et quand la climatisation ne marche pas, ou que le contrôleur oublie de l’allumer (ce qui arrive souvent), le train se transforme en une véritable fournaise. Et tant pis pour vous si vous n’avez pas ramené votre kit de gommage.
Plein tarif tu paieras, debout tu resteras
Sur la ligne la plus fréquentée au Maroc, vous ne trouverez pas de place assise dans 15% des cas. L’ONCF ne juge pas utile de renforcer son trafic aux heures de grande affluence : entre 7h et 10h, et entre 17h et 19h. Et les trains sont absolument à éviter les lundi matin et les vendredi soir.
En cas de souci, le contrôleur disparaitra
Dans 31% des cas, aucun passage de contrôleurs n’a été signalé. Quand il s’agit d’un train-bétaillère (définition plus bas), les contrôleurs ONCF ne sont pas passés dans 100% des cas. Ils évitent systématiquement de passer, de peur de subir les foudres des passagers.
5% des trains en mode bétaillère
Qu’est qu’un train-bétaillère? C’est la définition donnée par les usagers fréquents aux trains à la fois en retard, très encombrés, et sans climatisation. Et cela arrive dans 5% des cas. Priez de toutes votre énergie pour ne pas avoir à vivre cette expérience, elle est éprouvante.
Plainte tu déposeras, dans la poubelle elle finira
Énormément d’usagers de l’ONCF ne semblent pas être au courant qu’il existe des registres de réclamation dans toutes les gares. Mais problème: l’ONCF semble plutôt les utiliser comme défouloir pour les passagers mécontents, puisque ces réclamations ne sont tout simplement pas traitées. Sur 7 réclamations déposées en un an, aucune réponse n’a été reçue de la part de l’ONCF. Sont-ils au moins au courant que la négligence dans le traitement des plaintes des clients peut devenir un motif de poursuite judiciaire au Maroc?
Ceci est un aperçu de la qualité de service médiocre qu’offre l’ONCF à ses usagers sur l’axe Casa-Rabat. Et il est de notoriété publique que cet axe reste le mieux servi par l’ONCF. Les lignes vers Marrakech, Oujda et Tanger sont de loin plus négligées, et les voyages se passent dans des conditions plus que déplorables : retards, encombrements extrêmes, climatisation constamment en panne (même en 1ère classe), vandalismes, problèmes de sécurité à l’intérieur des trains…
Au vu des importantes sommes engagées, l’ONCF semble aujourd’hui se soucier plus de son business immobilier (très rentable) que du développement des infrastructures et du renforcement de ses dessertes, alors que c’est sa vocation première, sa mission de service public. En face des importants investissements dans le renouvellement des gares, pour les transformer en centres commerciaux, on retrouve des rames vétustes (que l’on remplace par de vieux Corail français récupérés chez la SNCF), un réseau mal entretenu à certains points, et peut s’avérer dangereux pour les usagers. Et on ne parle même pas des petites gares de Temara, Skhirat et Bouznika laissées en l’état depuis le départ des colons français, malgré la forte affluence qu’elles connaissent.
L’ONCF semble aujourd’hui orienter toutes ses ressources financières disponibles au projet du TGV (qui connaît, comme prévu, des retards importants), au détriment de l’entretien, et de l’amélioration de son réseau classique, qui couvre le reste du Maroc, et au détriment de ses passagers, dont personne ne semble se soucier.
Les données brutes recueillies sur les 100 trajets ayant servi à construire les statistiques de cet article sont disponibles à la demande.
Il existe une facette chez le PJD, qui est assez méconnue, et rarement mise en avant dans le discours populaire de ses dirigeants. Elle se manifeste souvent à travers des actions, des décisions ou des prises de position rapportées de réunions à huis clos.
L’ultralibéralisme du PJD, puisque c’est de cela que l’on parle, s’est dernièrement manifesté lors d’une récente sortie du Chef de Gouvernement, Abdelilah Benkirane, pendant une cérémonie de la Banque Africaine de Développement. Il déclare [1][2][3]: “Il est temps que l’État lève le pied sur certains secteurs, comme la santé et l’éducation” et que “le rôle de l’État doit se limiter à assister les opérateurs privés qui veulent s’engager sur ces secteurs”.
Est-ce une boutade? Une déclaration incontrôlée? Cela ne semble pas le cas, au vu des réalisations de l’actuel gouvernement dans différents domaines.
L’éducation : le privé en sauveur
On assiste depuis 2 à 3 ans à une explosion du nombre d’université et facultés privées, dans un contexte de faillite totale de l’éducation publique. La libéralisation des études en médecins avec l’ouverture de deux facultés de médecine privées à Casablanca et Rabat (et aucune ouverture de nouvelle faculté publique de médecine), plusieurs écoles d’ingénieurs privées marocaines et étrangères (et aucune nouvelle école d’ingénieurs publique), plusieurs universités et campus privés multidisciplinaires (et aucune nouvelle université publique)… L’État semble se résigner à construire des amphithéâtres à la va-vite pour remédier au surpeuplement des universités publiques, mais manque de stratégie à court, moyen et long terme pour faire face aux profonds changements démographiques devant (ou plutôt ont déjà commencé à) faire exploser le nombre d’étudiants dans les cycles supérieurs de l’enseignement. L’autre revirement constaté depuis quelques mois, est la reconnaissance par l’État de certaines universités privées, ligne rouge qu’aucun gouvernement depuis l’indépendance du Maroc n’a osé franchir! Sans oublier le souhait, que n’a jamais caché le ministre de tutelle, M. Daoudi, de rendre les universités publiques payantes. Mesure qu’il n’a jamais pu appliquer face au tollé général.
Au niveau de l’enseignement primaire, même l’ONU s’inquiète dans un récent rapport du poids excessif que prend l’enseignement privé dans l’enseignement primaire. Au rythme de croissance de l’enseignement privé au Maroc, 97% des élèves du primaires devraient être inscrits dans des écoles privées d’ici 25 ans.
L’éducation publique ne joue/jouera plus son rôle d’ascenseur social, et l’accès à une éducation de qualité sera réservé à ceux qui pourront se la payer. Une forme de reproduction des élites sera alors en cours.
Santé : “marchandisation” des soins en cours
Le secteur de la santé s’apprête à connaître un chamboulement majeur avec l’ouverture du capital des cliniques à des investisseurs privés, alors que l’ouverture de celles-ci était strictement réservée aux médecins. Un pas de plus vers la “marchandisation” du secteur, en le rendant régi par les dures lois de rentabilité financière, sans beaucoup d’égard au caractère très particulier du secteur.
Pendant ce temps, les hôpitaux publics souffrent d’énormes manques de moyens, de problèmes de disponibilité du personnel médical, souvent très occupé à servir dans les cliniques privées, qui seront encore plus nombreuses avec la nouvelle loi. La classe moyenne se rue, malgré ses moyens limités vers les cliniques pour le moindre petit souci de santé, alors qu’elle est censée recevoir un service public de qualité, ne serait-ce qu’en contre partie des lourds impôts qu’elle paye. Quand aux plus démunis, ils n’ont d’autres choix que de se résigner d’aller aux hôpitaux publics, ô combien insalubres, pour tenter de se faire soigner et d’en sortir vivants.
Infrastructures : l’État se désengage de plus en plus
Après la libéralisation de la production de l’électricité, qui profite largement au holding royal SNI, via sa filiale Nareva (parcs éoliens, station électrique géante de production via charbon “propre” à Safi…), une décision passée largement inaperçue concerne un des secteurs les plus vitaux pour le Maroc : l’eau. Ou plus précisément, la production hydroélectrique. Sur décision du ministre PJD de l’Énergie et des Mines, M. Abdelkader Amara, des groupes privés pourront désormais construire leurs propres barrages pour produire de l’électricité, revendue ensuite à l’ONEE. Ainsi, il reviendra aux investisseurs privés de choisir le site qui leur convient (et qui offre donc la meilleure rentabilité financière possible), et d’y construire un barrage, et de “lâcher” les eaux, au gré des désirs et des souhaits de ces investisseurs. Alors que c’est à l’État que revenait jusque là, cette mission de construction des barrages et de contrôle de leurs niveaux d’eau. Ne se rend-on pas compte que nous sommes en train de confier ce qui est notre ressource naturelle la plus précieuse à des entreprises pour lesquelles seule la rentabilité financière importe? Le groupe Brookstone Partners qui se dit américain, s’apprête d’ailleurs à construire 3 barrages pour se lancer dans la production électrique. Qui les contrôlera?
Un discours de moralisation de la vie politique, mais économiquement ultralibéral dans les faits
On a vu ainsi que depuis 3 ans, le gouvernement PJD ne cesse de lancer un discours moralisateur de la vie publique (largement inefficace, mais là, c’est une autre histoire), alors que économiquement, le parti se positionne sur un registre ultralibéral, qui limite le rôle de l’État à un facilitateur de business (comme le décrit M. Benkirane).
Et le service public dans tout cela? Pourquoi les marocains payent-ils leurs impôts? Est-ce uniquement pour que l’État exerce ses pouvoirs régaliens (sécurité, justice, monnaie) ? Ce n’est pas en tout cas l’attente des marocains qui croulent sous le fardeau de la pauvreté et des inégalités profondes.
Les marocains attendent de recevoir un service public de qualité, en termes d’éducation, de santé, d’infrastructures… La classe moyenne ne demande pas forcément des revenus supplémentaires, mais plutôt des services publics qui lui permettront d’alléger ses finances alourdies année après année par les charges toujours plus exorbitantes de logement, d’énergie, de transport… et auxquelles il faut rajouter les charges liées à l’éducation de leurs enfants et des frais de santé, qui sont censés être fournis gratuitement par l’État. N’est-ce pas une contrepartie juste pour les impôts toujours plus lourds qu’ils payent?
Il fallait s’y attendre : l’agonisant gouvernement Benkirane a finalement décidé de revenir à l’indexation des prix à la pompe des carburants, mesure en vigueur 1995 et 1999. Et encore une fois, le gouvernement Benkirane a choisi la solution de la facilité pour réformer la caisse de compensation.
Après les augmentations des prix à la pompe de juin 2012, et au lieu de mettre en place des mesures viables à long terme et bénéfiques pour les plus démunis, le (presque) gouvernement ne trouve rien de mieux que d’augmenter à nouveau le prix à la pompe.
Où sont les promesses de mise en place d’aides directes, promises par le ministre Boulif en juin 2013? Où sont les mesures permettant aux professionnel du transport de récupérer la subvention directement via des mesures fiscales, en utilisant le mécanisme du gasoil professionnel? Où est le débat global promis par M. Boulif sur la réforme de la compensation, véritable chantier prioritaire pour le Maroc, nécessaire pour sauver les finances publiques. Rien de cela n’a été fait, et il semble que rien ne presse pour un gouvernement préoccupé par sa survie plus qu’autre chose…
Mais revenons à la subvention du diesel et de l’essence. Un communiqué du gouvernement annonce aujourd’hui que l’État continue tout de même à subventionner à hauteur de 0,8 dhs/litre le super carburant, et à 2,6 dhs/litre pour le gasoil. Qu’en est-il réellement?
La fiscalité sur les carburants est composée de deux taxes : la Taxe Intérieure de Consommation (TIC), qui est fixée à 242,2 DH/hectolitre de diesel et à 376,4 DH/hectolitre de super carburant, ainsi que la TVA dont le taux est de 10% sur le prix de vente (contre 7% avant 2010).
Un simple calcul suffit à démontrer, qu’au contraire, c’est bien le consommateur final qui contribue au budget de l’État à hauteur de 0,7 DH/litre de diesel acheté et de 4,24 DH/litre d’essence.
NB : Le prix de vente indiqué est celui de la sortie de la rafinnerie de la Samir. Les prix de transport sont en sus, en fonction de l’éloignement de Mohammédia.
Il est temps d’en finir avec les discours “pompeux” M. le ministre 🙂
Ce n’est un secret pour personne, mais les finances publiques marocaines vont mal. A quel point? Un bulletin de la Trésorerie Générale du Royaume (la caisse de l’Etat) à fin 2013, fait état d’une situation peu enviable des finances publiques.
Les recettes de l’Etat au premier semestre 2013 se sont élevées à 100 milliards de DH, alors que les dépenses ordinaires de fonctionnement se sont élevées à 113 milliards de DH. Les dépenses d’investissement ont été de 23 milliards de DH. Il apparaît donc clairement un déficit de 34 milliards de DH, entièrement financé par l’endettement. La totalité des dépenses d’investissement et 13 milliards des dépenses de fonctionnement ont donc été financés par dette. De plus, les recettes de l’Etat sont en recul de 1% par rapport au S1 2012, et au vu de la situation économique, rien ne laisse présager un redressement des recettes fiscales à court terme.
Que l’Etat emprunte pour financer son déficit n’est pas nouveau, mais qu’il emprunte pour financer son fonctionnement, est très inquiétant, et signe d’une faillite de la gestion des finances publiques. Car jusque là, nous avons vécu dans un dogme de “emprunter pour investir ne peut être que bénéfique pour le pays”. Mais que dire alors du fait d’emprunter lourdement pour payer ses fonctionnaires ou subventionner les produits pétroliers?
Il y a un an, je publiais un article sur la possibilité d’un nouveau Plan d’Ajustement Structurel mené par le FMI au Maroc, suite à la Ligne de Précaution et de Facilité accordée par l’institution monétaire internationale. Les officiels avaient longtemps rassuré l’opinion publique en précisant que ce n’est en aucun cas une mise sous tutelle de l’économie marocaine. Qu’en est-il dans les faits? Des experts du FMI sont venus au Maroc à de nombreuses reprises pour auditer les comptes publics et analyser la situation économique. S’en sont suivis des rapports avec des “recommandations” (pour ne pas dire injonctions) au gouvernement marocain. Le risque de ne pas les appliquer? Se faire retirer cette fameuse ligne de précaution, et se voir sa notation financière dégradée par les agences de notation… Le FMI aurait déjà d’ailleurs menacé de le faire…
Par ailleurs, et au vu du creusement du déficit de la balance des paiements, le gouvernement n’a trouvé d’autres options que d’emprunter au maximum en devises (sur les marchés financiers, mais aussi auprès des banques de développement internationales), pour freiner l’érosion des réserves de change. Certes, cela aide à remonter la barre des 4 mois d’importations, mais entraîne une explosion de charges d’intérêt (payables en devises…), en plus du remboursement du principal. Au final, une solution très court-termiste pour renflouer les caisse de l’Etat et alimenter les réserves de change, mais aux conséquences fâcheuses à moyen et court terme… L’autre solution était cette sorte de campagne de mendicité institutionnalisée auprès des états du Golfe, visant à collecter des dons financiers pour “aider le Maroc à traverser cette mauvaise passe”. A se demander si la contre-partie n’était pas une demande explicite des pays du Golfe au Maroc de ralentir drastiquement les réformes politiques, afin de ne pas créer un climat d’attente auprès de leur propre population.
La situation n’a donc fait que s’aggraver depuis un an, et à part des solutions court-termiste, rien n’a été fait pour contrer la descente aux abysses des finances publiques et du déficit de la balance des paiements. Et à voir l’absence de réactions de nos politiciens, très occupés à résoudre leurs querelles intestines, on se demande si on ne nous cache pas la découverte d’importants gisements de pétrole capables de tout faire changer d’une baguette magique…
Alors que s’élabore en catimini la réforme de la Caisse de Compensation (la plus importante depuis plusieurs années, faut-il le rappeler), sans aucun débat public ou approche participative, il semble certain aujourd’hui que le gouvernement se dirige vers une aide directe aux plus nécessiteux. Si les modalités exactes ne sont pas encore définies, des questions commencent à surgir ici et là sur le sort de la classe moyenne, qui ne profiterait plus des subventions de la Caisse de Compensation, et se retrouverait exposée à la “réalité des prix”, alors qu’elle a de plus en plus mal à joindre les 2 bouts, et vit de plus en plus sur le fil du rasoir.
Comment d’abord définir cette classe moyenne? Ce débat interminable au Maroc , a abouti à plusieurs définitions, dont la plus contestée est celle du Haut Commissariat au Plan. Il a défini en 2009 la classe moyenne comme tout foyer ayant un revenu mensuel situé entre 2800 et 6763 DH. Une définition purement statistique, qui prend en compte la distribution des revenus au Maroc, et situe la classe moyenne entre 0,75x et 2,5x la médiane des revenus. Et comme le dit M. Lahlimi, Haut Commissaire au Plan, “Dans un pays pauvre, la classe moyenne est normalement pauvre. Et c’est le cas du Maroc”. Si cette définition de la classe moyenne peut être relativement acceptée dans le milieu rural, ou dans de petites villes, il est inconcevable aujourd’hui de classer un foyer de Casablanca ou Rabat ayant un revenu mensuel de 2800 comme un foyer de classe moyenne.
D’autres efforts pour définir cette classe moyenne ont été fournis par divers chercheurs et universitaires. Le plus abouti, à mon sens, semble être celui de la revue Economia (éditée par le CESEM) en 2009. L’étude part de définitions statistiques et non-statistiques pour cerner cette classe moyenne qui semble échapper à une définition universelle, et se base sur le principe que cette classe “devrait se suffire à elle même pour vivre (et non pour survivre)”.
A l’issue de cette étude, 4 catégories de classes moyennes ont été établis, et les grands postes de dépense d’un foyer décortiqués. Pour chacun de ces postes, une fourchette hausse et basse ont été définis. Si la somme de ces postes ne correspond pas au revenus du foyer, c’est parce qu’on estime que ces foyers font des arbitrages entre ces catégories, et choisissent de consommer moins ou plus selon leur revenu et leur souhait d’avoir ou non de l’épargne. (Les chiffres de cette étude datant de 2009, il conviendrait de les ajuster par rapport à l’inflation depuis cette date là).
Partant de ces chiffres, peut-on cerner les attentes de cette classe moyenne vis-à-vis de l’Etat? Peut-on dire que cette classe sera affectée par la libéralisation des prix des produits actuellement subventionnés par la Caisse de Compensation (farine, sucre, carburant de voiture et gaz butane)?
Si le montant réservé à l’alimentation reste à peu près le même, quelque soit la variation des revenus du foyer, on remarque que le gros des dépenses est ailleurs : logement, transport, habillement, eau, électricité, télécoms, santé et éducation. L’impact de la réforme de la Caisse de Compensation devrait donc à priori être réduit si la farine et le sucre devaient être augmentés. Cela est par contre un peu plus sensible pour le gaz butane (rappelons que le vrai prix de la grande bonbonne est de 120 DH au lieu des 40 DH actuels), et pour le carburant de voiture sur lequel compte une bonne partie de cette classe moyenne pour se déplacer.
L’Etat devra-t-il inclure la classe moyenne dans son programme de distribution directe des subventions? Pas sûr que ce soit son rôle… La classe moyenne a surtout besoin de services publics à la hauteur de ces attentes, qui allègeraient le fardeau de ses dépenses, alors même qu’elle est un gros contributeur fiscal à travers l’Impôt sur le Revenu et la TVA payée sur à peu près tous ses achats.
Il suffit de jeter un coup d’œil aux postes de l’éducation et de la santé. Il est devenu rare de nos jours de voir un couple de fonctionnaires (de classe moyenne donc), envoyer leurs enfants dans une école publique. Quelques soient le niveau de leurs revenus, ils en sacrifient une bonne partie pour assurer à leurs enfants une éducation adéquate, au lieu de sacrifier leur avenir dans une école publique arrivée à un état catastrophique. Et ne parlons même pas d’hôpitaux publics. Mis à part quelques rares spécialités, il est aujourd’hui automatique pour un foyer de classe moyenne de se diriger vers des cliniques ou des médecins privés pour se soigner, même s’ils ne font pas partie des 18% de travailleurs chanceux qui disposent d’une couverture maladie…
Et que dire du transport? Faute de transports publics fiables, cette classe moyenne est quasi-obligée de disposer d’une voiture (voire de deux…) pour se rendre à son travail et conduire ses enfants à l’école (privée). Cela aurait-il le cas si nos villes disposaient de réseaux de transport public fiables, confortables et ponctuels? Pas sûr. Il suffit de voir les récents succès des tramways de Rabat et de Casablanca pour se rendre compte des attentes immenses de la population vis-à-vis des transports publics.
Et que dire du logement? Si l’État s’est longtemps focalisé sur la promotion du logement social, l’intérêt pour le logement de la classe moyenne est tout nouveau avec les récents avantages fiscaux accordés aux promoteurs immobiliers. Certains d’entre eux ont déjà annoncé qu’ils n’étaient pas intéressés par des carottes fiscales jugées trop faibles, et préfèrent rester focalisés sur le logement social, aux avantages fiscaux nettement plus intéressants pour ces requins promoteurs. La classe moyenne restera donc, jusqu’à nouvel ordre, prisonnière de spéculateurs immobiliers, sans qu’elle ne trouve d’offre adéquate, essentiellement en termes de budget.
Si l’État ne devrait pas venir en aide à cette classe moyenne en lui octroyant des aides pécuniaires directes, il devrait au moins se rendre utile en lui assurant des services publics dignes de ce nom, essentiellement dans les domaines de l’éducation, de la santé et des transports publics, tout en mettant en place des conditions adéquates pour lui permettre d’accéder à un logement répondant à ses aspirations.
Si l’idée de tout demander à l’État est à exclure, faut-il pour autant renoncer à demander des services publics de qualité, ne serait-ce qu’en contre-partie des innombrables impôts payés à l’État par cette classe moyenne?
Si vous n’avez jamais pris la route Ouarzazate-Marrakech via Tizi-N-Tichka, vous pouvez difficilement imaginer à quelle point le tronçon montagneux est dangereux. Si les paysages qu’elle offre sont à couper le souffle, elle reste une route étroite, sinueuse sur 120 kilomètres, avec des virages à angles morts et des ravins dont on ne voit même pas le fond. Ajoutez à cela une signalisation faible et un entretien approximatif, et vous obtiendrez probablement la route la plus dangereuse au Maroc. Et si jamais vous envisagez de traverser cette route l’hiver, prévoyez des vivres et de bonnes couvertures. Il est très fréquent que la route soit coupée suite aux chutes de neige.
Si on ne connaît pas, pour le moment, la cause exacte du dramatique accident d’autocar de Tichka, on peut, vu la nature de la route, se demander si celle-ci n’est pas la cause directe de l’accident, ou au moins une cause aggravante, vu que le car a chuté dans un ravin de 150 mètres.
On pourra toujours dire que le conducteur roulait trop vite, avait sommeil, ou a manqué d’attention au moment de l’accident, ou que l’autocar était surchargé et que son état mécanique était défectueux, mais la question de la responsabilité de la qualité de la route dans le nombre effroyable de victimes est légitime.
La construction de la route du Tichka a commencé en 1924, sur initiative du Général Daugan, dans le cadre de la campagne de “pacification” du Maroc, après la signature du traité de protectorat français en 1912.
Elle fut essentiellement utilisée pour transporter le matériel et les troupes militaires.
Les découvertes minières dans la région, ont incité le protectorat à trouver des solutions pour faciliter le transport du manganèse, et de baisser ainsi son coûts de revient. Deux solutions ont été étudiées : celle d’un téléphérique utilisé pour acheminer le précieux minerai d’un flanc à l’autre, ou celle d’un tunnel sous l’Atlas. La première solution fut adoptée et celle du tunnel temporairement abandonnée (même si selon certaines sources, le creusement avait déjà commencé).
En 1974, des études ont été réalisées pour la faisabilité d’un tunnel de 11 Km sous l’Atlas, réduisant la longueur du trajet de 25 Km et économisant 40 minutes. D’autres études ont suivi en 1996 et 2002 et 2004. mais ont connu toutes le même sort : moisir dans un tiroir.
Pour quelles raisons le projet a-t-il été remis aux calendes grecques? Si les italiens, suisses, français ou islandais ont parfaitement réussi des challenges aussi difficiles que la construction du tunnel du Mont Blanc, du Fréjus , du Simplon ou du Hvalfjörður, en quoi le tunnel de Tichka serait-il plus difficile à construire? La seule raison qui parait aujourd’hui freiner le projet, est son coût de financement. Il est estimé aujourd’hui entre 7 et 10 milliards de dirhams, soit entre le tiers et la moitié du coût projeté du TGV Tanger-Casablanca.
Nous vivons donc dans un pays qui s’efforce de trouver les moyens de financer un petit joujou pour le Maroc “utile”, mais bute sur le financement d’un ouvrage capable de changer l’avenir de millions de personnes vivant dans les régions “inutiles” de Deraa, Todgha et Dades. Cette dichotomie si chère au Maréchal Lyautey, continue donc de prévaloir chez les dirigeants du Maroc au 21ème siècle.
Les attentes des habitants de cette région sont énormes, et la construction d’un tel ouvrage constituerait une véritable révolution pour ses habitants, habitués à vivre à la marge du Maroc de “l’autre coté” de la montagne, celui où on jouit de leurs richesses sans véritable retour.