Quel bilan pour le gouvernement Benkirane I?

Benkirane

Les dés semblent désormais jetés : le gouvernement Benkirane sous sa forme actuelle n’a plus que quelques semaines ou mois à vivre. Le stratagème du pion Chabat et de ceux qui le téléguident a toutes les chances de réussir. On se dirigera donc probablement vers une nouvelle coalition (mais laquelle?), ou vers des élections anticipées. La 2ème option semble avoir les faveurs de certains caciques du PJD, car l’issue ne fait aucun doute : le PJD les gagnera encore une fois haut la main. Mais ils semblent toutefois oublier, qu’au vu du système électoral actuel, le PJD n’a absolument aucune chance de remporter la majorité absolue au parlement, et sera donc obligé de se trouver de nouveaux alliés. Au risque de retomber dans la même situation dans quelques mois et de n’avoir que 2 choix : se soumettre au Makhzen, ou avoir suffisamment de courage pour claquer la porte, et mettre le système devant ses responsabilités.

Un an et demi donc après la formation du gouvernement Benkirane I, il est tout à fait légitime de dresser un premier bilan de ses actions dans différents domaines, surtout celles qui ont marqué (ou pas), la vie des marocains.

L’impression générale que laissent ces 18 mois du PJD au “pouvoir” (qui est bien entendu ailleurs), est cette “USFPisation” beaucoup plus rapide que prévu. Le chef de gouvernement n’a pas cherché la confrontation avec le Makhzen (tout comme l’USFP du gouvernement d’alternance de 1998), et s’est tout de suite montré très docile vis-à-vis des véritables détenteurs du pouvoir au Maroc. Preuve s’il en faut, le fameux communiqué du Chef de Gouvernement qui s’excuse platement auprès des conseillers royaux à la suite d’un article de journal qui cite Benkirane : « il n’y a aucun contact entre moi et les conseillers du roi ».

Mais est-il utile de rappeler que le gouvernement Benkirane s’était engagé sur des promesses et des réformes nécessaires pour redresser le pays : croissance économique, lutte contre la corruption, réformes de la caisse de compensation et des régimes de retraites… Qu’en est-il dans les faits?


“Le gouvernement Schindler”

A force de publier des listes, on n’en voit plus l’utilité. S’étant engagé sur beaucoup plus de transparence, le gouvernement Benkirane a excellé dans la publication de listes à n’en plus en finir. Ca aurait été utile si des réformes étaient engagées, sauf qu’il n’en a rien été. Des coups de com, rien de plus. En 18 mois, le gouvernement Benkirane a donc publié les listes de :

  • Détenteurs des agréments de transport en autocar. Aucune réforme de cette activité symbolisant par excellence l’économie de rente n’a été faite.
  • Détenteurs des agréments de carrières. Dont la plupart sont cachés derrière des sociétés. Là aussi, aucune réforme n’a été faite de cette activité rentière.
  • Associations bénéficiant d’aides provenant de l’étranger
  • Personnes occupant illégalement des logements du ministère de l’éducation nationale
  • Étudiants pensionnaires des cités universitaires
  • Fonctionnaires détachés auprès des syndicaux

Des listes à ne plus en finir. Une sorte de concurrence entre ministres démontrant leur volonté de transparence sans que cela ne se traduise pour guérir les maux structurels du pays. Des listes inutiles.


L’indomptable audiovisuel

Les joutes avec les dirigeants des chaines de télévision publiques (puisqu’il n’y a aucune TV privée au plus beau pays du monde) n’en finissent plus. La mémorable bataille pour l’application des cahiers de charge du ministre Khalfi, s’est soldée par une ridiculisation du gouvernement, incapable d’appliquer sa politique à un service public. Benkirane a de plus été incapable de changer une simple directrice dans une chaine nationale. Autant dire que la TV est, et restera une chasse gardée du Makhzen. Victoire majeure cependant de Khalfi : il a réussi à imposer l’adhan sur 2M. Ouf, l’honneur est sauf.


Libertés politiques et lutte contre la corruption

Le bilan est particulièrement catastrophique. L’espoir qu’a suscité le gouvernement Benkirane s’est vite estompé, surtout que le ministre de la justice et des libertés, était connu pour être un militant farouche pour la défense des droits de l’Homme. Il n’en a rien été. Des dizaines de militants du mouvement du 20 février ont subi la vengeance du Makhzen, et ont été condamnés pour la plupart à des délits de droit commun. La réaction du gouvernement? M. Benkirane a affirmé en direct sur TV5, qu’il n’existait aucun prisonnier politique au Maroc. Un magnifique doigt d’honneur à tous ceux qui ont cru que le PJD pouvait défendre les libertés politiques au Maroc. Quand on ne s’appelle pas Jamaa Mouatassim du PJD (libéré 2 jours après la première marche du 20 février 2011), on n’a pas le droit d’être défendu par ce parti, ni d’être traité comme prisonnier politique.

Autre point : la lutte contre la corruption. Slogan majeur de la campagne électorale du PJD, n’a pas fait long feu. Symbole de cette promesse non tenue, la poursuite en justice des braves fonctionnaires qui ont “fuité” les documents prouvant l’échange de primes entre l’ex-Ministre des Finances et le Trésorier Général du Royaume. Ils ont tous les deux été poursuivis pour divulgation de secret professionnel. Une manière de dire à tous les témoins de malversations de leurs administrations qu’ils risquent de subir le même sort devant la justice. Et qu’en est-il de Bensouda et Mezouar? Le procureur général de la Cour d’Appel à Rabat (dont le chef direct est Ramid, le ministre de la Justice) a classé sans suite l’affaire en prétextant un arrêt datant du protectorat… La lutte contre la corruption, ce n’est pas pour tout de suite.


Situation économique au bord du gouffre

20 ans après la sortie de la tutelle du FMI, le Maroc a redemandé l’aide de l’institution monétaire internationale en souscrivant à une ligne préventive de liquidité. Le FMI a désormais un droit de regard sur les finances publiques, et dicte les réformes au gouvernement. Une situation, pas loin de celle du “Plan d’Ajustement Structurel” qui a commencé en 1983 et duré une douzaine d’années. Et on y risque d’y revenir très prochainement si la réforme de la caisse de compensation et celle des retraites, ne sont pas réalisées à temps. Certes, le gouvernement précédent a laissé un lourd passif, en dégradant sensiblement les finances publiques pendant les quelques mois précédent son départ, mais celui de Benkirane a manqué terriblement de courage en retardant les réformes de compensation et de retraites.


Des points positifs?

Tout n’est pas noir : Benkirane a été ferme sur la généralisation des concours pour accéder à la fonction publique, et n’a pas (encore?) cédé aux diplomés chomeurs qui réclament d’être intégrés directement dans la fonction publique. Autre point pratique : on connaît désormais à l’avance les dates de passage à l’heure d’été et d’hiver chaque années. Le gouvernement de Abbas El Fassi nous l’annonçait souvent la veille. On ne remerciera jamais assez Benkirane pour ça…


Des alternatives?

L’échec cuisant du gouvernement de Benkirane sur ces 18 mois, démontre une chose : l’histoire est un éternel recommencement. Benkirane subit aujourd’hui ce qu’a subi El Youssoufi il y a 15 ans. Il a voulu pactiser avec le Makhzen, sans avoir de véritable pouvoir. Le leurre de la constitution de 2011 a marché. Il se contente aujourd’hui d’un gouvernement de gestion des affaires courantes, sans véritable pouvoir, et incapable de mener la moindre réforme structurante. Et il semble s’en contenter.

Quelle alternative? Chasser le gouvernement Benkirane et en ramener un autre PI, USFP, MP, ou même technocrate, ne résoudrait rien. Ca nous ferait perdre encore 10, 20 ou 50 ans de développement. La seule réforme pouvant sortir le Maroc de son marasme et de le ramener sur la voie de la démocratie : instaurer une monarchie parlementaire. Une vraie.

L’Etat aurait-il dû privatiser Maroc Telecom?

Ahizoune & Fourtou

Alors que Vivendi s’apprête à vendre ses parts de Maroc Telecom, achetées à l’État marocain une douzaine d’années auparavant, certaines voix s’élèvent ici et là pour demander à re-nationaliser ce mastodonte et s’interrogent sur le bilan de sa privatisation.

Il y a quelques jours, le patron de la centrale syndicale CDT a même explicitement demandé à l’État de racheter les parts de Vivendi, afin de renforcer la souveraineté nationale dans ce domaine stratégique. Si une telle éventualité est totalement exclue au vu de l’état catastrophique des finances publiques, il en est de même pour un acteur privé marocain. Aucune entreprise ou institution marocaine n’a aujourd’hui les moyens de mettre sur la table les 4 à 5 milliards d’euros demandés par Vivendi.

Si la nationalisation est donc totalement exclue, on peut légitimement se poser des questions sur le bilan de sa privatisation en 2001.

Est-ce que Maroc Telecom aurait pu atteindre son stade de développement actuel s’il était resté dans le giron des entreprises publiques?

La question est réellement délicate. Il est indéniable aujourd’hui que l’arrivée de Vivendi a contribué à moderniser la lourde machine qu’était cette entreprise issue de la scission de l’Office National des Postes et Télécommunications. Certes, à coup de licenciements et de programmes de départs volontaires, mais aussi grâce à une réorganisation et un pilotage plus orienté performance. Mais fallait-il attendre que Vivendi ramène ses cadres pour le faire? Le contre exemple de la transformation de l’OCP en quelques années prouve qu’une profonde transformation d’une entreprise étatique n’est pas impossible. En quelques années, la profonde restructuration menée par M. Terrab a permis de transformer ce vieil office qu’était l’OCP en une entreprise d’envergure internationale capable de concurrencer les plus grands.

L’argument qui revenait souvent au moment de la privatisation de Maroc Telecom est celui du transfert technologique. On a longtemps martelé que l’opérateur avait besoin d’un acteur international pour lui ouvrir les portes de l’expertise technique internationale. Qu’en est-il dans les faits? Il suffit de comparer les offres techniques et les moyens déployés chez les autres filiales de Vivendi (SFR en France et GVT au Brésil), pour se rendre compte qu’aucun transfert technologique n’a été opéré. Les équipementiers de télécommunications classiques (Nokia Siemens Network, Ericsson, Huawei…) passent des marchés directement avec l’opérateur sans aucune intervention de Vivendi. Seules quelques contrats d’assistance technique avec SFR (facturés au prix fort) sont en place et restent très limités par rapport aux contrats passés avec les équipementiers. Autre preuve : les 2 pôles techniques de l’opérateur sont dirigés par des marocains, alors que les pôles financiers et juridiques sont dirigés par des français. C’est dire l’importance qu’accorde Vivendi à ses flux financiers.

Qu’en est-il du prix encaissé par l’État en 2001 et 2005? Le meilleur moyen de l’évaluer après 12 ans de l’opération, est de calculer le taux de rentabilité interne (TRI) de l’actionnaire Vivendi. En retraçant les flux déboursés par Vivendi pour l’acquisition des 35% de Maroc Telecom en 2001, puis des 16% supplémentaires acquis en 2005, et en y ajoutant les dividendes obtenus durant ces 12 ans, en plus du prix de vente escompté par Vivendi (arrondi à 50 milliards de DH), on obtient un TRI actionnaire de 11%. Il n’inclut toutefois pas les contrats d’assistance technique (considérés parfois comme des dividendes cachés), ni l’effet d’achat groupé avec les autres filiales de Vivendi.Un tel niveau de TRI peut paraitre à première vue élevé, mais reste très raisonnable par rapport aux TRI généralement obtenus par des capital risqueurs. On peut donc légitimement dire que l’ex-ministre des finances Oualalou avait bien négocié le montant des deux chèques de Vivendi.

Vivendi Maroc Telecom(Cliquez pour agrandir)

Douze ans après sa privatisation, Maroc Telecom reste une machine à cash importante pour l’État. En 2011, on estimait à environ 10 milliards de DH les recettes de l’Etat à partir de Maroc Telecom (dividendes, IS, TVA, contribution obligatoire au fonds pour la recherche scientifique…). Le chiffre est certes appelé à baisser avec la baisse des résultats de l’opérateur, mais il continuera à constituer une part non négligeable dans les recettes annuelles de l’État.

Pour résumer, l’opération de privatisation de Maroc Telecom était à l’époque une bonne opération financière pour l’État, et continue de l’être grâce aux dividendes et impôts générés par l’opérateur. Si le développement en Afrique subsaharienne a été un choix judicieux pour s’assurer des relais de croissance, l’opérateur n’a néanmoins pas pu bénéficier pleinement des transferts technologiques qui auraient dû accompagner l’opération. Une dimension malheureusement toujours négligée dans de pareilles opérations, car on pense souvent à l’effet immédiat (cash), et on néglige l’effet à moyen et long terme des transferts technologiques et de savoir faire sur l’économie et la recherche dans le pays…

Sources :

Etat marocain : des méthodes kadhafistes pour surveiller Internet ?

Rappelez-vous, d’un épisode particulier de la chute du sanguinaire dictateur libyen : deux journalistes du Wall Street Journal (WSJ) découvrent stupéfaits l’existence d’un centre secret à Tripoli pour la surveillance d’activistes libyens sur Internet. Le centre disposait d’importants moyens informatiques dont un logiciel appelé Eagle et édité par la société française Amesys.

Que permet de faire ce logiciel ? Le manuel d’utilisation de Eagle est on ne peut plus clair :

« Le système récupèrera toutes les données, et fichiers attachés, associés aux protocoles suivants : Mail (SMTP, POP3, IMAP), Webmails (Yahoo! Mail Classic & Yahoo! Mail v2, Hotmail v1 & v2, Gmail), VoIP (SIP / RTP audio conversation, MGCP audio conversation, H.323 audio conversation), Chat (MSN Chat, Yahoo! Chat, AOL Chat, Paltalk -qui permet aux utilisateurs de Windows de chatter en mode texte, voix ou vidéo-, Http, Moteurs de recherche (Google, MSN Search, Yahoo), Transferts (FTP, Telnet) ».

Amesys Eagle Operator Manual Copy by rewriting

Il s’agit en gros d’un logiciel de « Deep Packet Inspection », capable de récupérer et inspecter des données circulant entre libyens, et même de dresser des cartographies de relations en fonction des personnes contactées et de la fréquence des échanges.

L’enquête du WSJ avait bien révélé que les services libyens avaient utilisé le logiciel pour épier des conversations entre activistes sur Yahoo Chat et via email.

Le gouvernement marocain est-il tenté d’utiliser des méthodes du défunt Kadhafi pour surveiller Internet ? Tout porte à le croire malheureusement.

Le «Canard enchainé» français avait publié en Février 2012 une facture de 2 millions de dollars destinée au gouvernement marocain de la part de la société Serviware, filiale d’Amesys, elle-même filiale du groupe Bull.

La facture porte mention du « Projet Popcorn », mais ne donne pas plus de détails sur la consistance de la commande. Mais selon le « Canard Enchaîné », le même logiciel aurait été fourni au Qatar et à… la Syrie ! C’est dire la nature démocratique des régimes clients d’Amesys.

Si aucune réaction officielle des autorités marocaines n’a été enregistrée, il ne serait pas du tout étonnant que le régime marocain se mette à surveiller ceux qui l’enquiquinaient il y a 2 ans avec les manifestations du mouvement du 20 février, et le vent de liberté d’expression qui souffle sur l’Internet marocain depuis.

Mais ne faudrait-il pas rappeler que l’article 24 de la Constitution marocaine stipule explicitement que

« Toute personne a droit à la protection de sa vie privée. (…) Les communications privées, sous quelque forme que ce soit, sont secrètes. »

Le régime se cache malheureusement très souvent derrière le prétexte de lutte contre le terrorisme et de lutte contre les fraudes pour justifier ces pratiques. Sauf que ce même article de la Constitution stipule que

« Seule la justice peut autoriser, dans les conditions et selon les formes prévues par la loi, l’accès à leur contenu, leur divulgation totale ou partielle ou leur invocation à la charge de quiconque ».

Quid de la pratique ? Ce n’est un secret pour personne qu’elle est souvent loin de toute règle juridique…

Quelques liens :

Qu’attend la classe moyenne marocaine de l’Etat?

Famille marocaine (Par Olivier Blaise)
Famille marocaine (Par Olivier Blaise)

Alors que s’élabore en catimini la réforme de la Caisse de Compensation (la plus importante depuis plusieurs années, faut-il le rappeler), sans aucun débat public ou approche participative, il semble certain aujourd’hui que le gouvernement se dirige vers une aide directe aux plus nécessiteux. Si les modalités exactes ne sont pas encore définies, des questions commencent à surgir ici et là sur le sort de la classe moyenne, qui ne profiterait plus des subventions de la Caisse de Compensation, et se retrouverait exposée à la “réalité des prix”, alors qu’elle a de plus en plus mal à joindre les 2 bouts, et vit de plus en plus sur le fil du rasoir.

Comment d’abord définir cette classe moyenne? Ce débat interminable au Maroc , a abouti à plusieurs définitions, dont la plus contestée est celle du Haut Commissariat au Plan. Il a défini en 2009 la classe moyenne comme tout foyer ayant un revenu mensuel situé entre 2800 et 6763 DH. Une définition purement statistique, qui prend en compte la distribution des revenus au Maroc, et situe la classe moyenne entre 0,75x et 2,5x la médiane des revenus. Et comme le dit M. Lahlimi, Haut Commissaire au Plan, “Dans un pays pauvre, la classe moyenne est normalement pauvre. Et c’est le cas du Maroc”. Si cette définition de la classe moyenne peut être relativement acceptée dans le milieu rural, ou dans de petites villes, il est inconcevable aujourd’hui de classer un foyer de Casablanca ou Rabat ayant un revenu mensuel de 2800 comme un foyer de classe moyenne.

D’autres efforts pour définir cette classe moyenne ont été fournis par divers chercheurs et universitaires. Le plus abouti, à mon sens, semble être celui de la revue Economia (éditée par le CESEM) en  2009. L’étude part de définitions statistiques et non-statistiques pour cerner cette classe moyenne qui semble échapper à une définition universelle, et se base sur le principe que cette classe “devrait se suffire à elle même pour vivre (et non pour survivre)”.

A l’issue de cette étude, 4 catégories de classes moyennes ont été établis, et les grands postes de dépense d’un foyer décortiqués. Pour chacun de ces postes, une fourchette hausse et basse ont été définis. Si la somme de ces postes ne correspond pas au revenus du foyer, c’est parce qu’on estime que ces foyers font des arbitrages entre ces catégories, et choisissent de consommer moins ou plus selon leur revenu et leur souhait d’avoir ou non de l’épargne. (Les chiffres de cette étude datant de 2009, il conviendrait de les ajuster par rapport à l’inflation depuis cette date là).

Classe Moyenne D

Classe Moyenne C

Classe Moyenne B

Classe Moyenne A

Partant de ces chiffres, peut-on cerner les attentes de cette classe moyenne vis-à-vis de l’Etat? Peut-on dire que cette classe sera affectée par la libéralisation des prix des produits actuellement subventionnés par la Caisse de Compensation (farine, sucre, carburant de voiture et gaz butane)?

Si le montant réservé à l’alimentation reste à peu près le même, quelque soit la variation des revenus du foyer, on remarque que le gros des dépenses est ailleurs : logement, transport, habillement, eau, électricité, télécoms, santé et éducation. L’impact de la réforme de la Caisse de Compensation devrait donc à priori être réduit si la farine et le sucre devaient être augmentés. Cela est par contre un peu plus sensible pour le gaz butane (rappelons que le vrai prix de la grande bonbonne est de 120 DH au lieu des 40 DH actuels), et pour le carburant de voiture sur lequel compte une bonne partie de cette classe moyenne pour se déplacer.

L’Etat devra-t-il inclure la classe moyenne dans son programme de distribution directe des subventions? Pas sûr que ce soit son rôle… La classe moyenne a surtout besoin de services publics à la hauteur de ces attentes, qui allègeraient le fardeau de ses dépenses, alors même qu’elle est un gros contributeur fiscal à travers l’Impôt sur le Revenu et la TVA payée sur à peu près tous ses achats.

Il suffit de jeter un coup d’œil aux postes de l’éducation et de la santé. Il est devenu rare de nos jours de voir un couple de fonctionnaires (de classe moyenne donc), envoyer leurs enfants dans une école publique. Quelques soient le niveau de leurs revenus, ils en sacrifient une bonne partie pour assurer à leurs enfants une éducation adéquate, au lieu de sacrifier leur avenir dans une école publique arrivée à un état catastrophique. Et ne parlons même pas d’hôpitaux publics. Mis à part quelques rares spécialités, il est aujourd’hui automatique pour un foyer de classe moyenne de se diriger vers des cliniques ou des médecins privés pour se soigner, même s’ils ne font pas partie des 18% de travailleurs chanceux qui disposent d’une couverture maladie…

Et que dire du transport? Faute de transports publics fiables, cette classe moyenne est quasi-obligée de disposer d’une voiture (voire de deux…) pour se rendre à son travail et conduire ses enfants à l’école (privée). Cela aurait-il le cas si nos villes disposaient de réseaux de transport public fiables, confortables et ponctuels? Pas sûr. Il suffit de voir les récents succès des tramways de Rabat et de Casablanca pour se rendre compte des attentes immenses de la population vis-à-vis des transports publics.

Et que dire du logement? Si l’État s’est longtemps focalisé sur la promotion du logement social, l’intérêt pour le logement de la classe moyenne est tout nouveau avec les récents avantages fiscaux accordés aux promoteurs immobiliers. Certains d’entre eux ont déjà annoncé qu’ils n’étaient pas intéressés par des carottes fiscales jugées trop faibles, et préfèrent rester focalisés sur le logement social, aux avantages fiscaux nettement plus intéressants pour ces requins promoteurs. La classe moyenne restera donc, jusqu’à nouvel ordre, prisonnière de spéculateurs immobiliers, sans qu’elle ne trouve d’offre adéquate, essentiellement en termes de budget.

Si l’État ne devrait pas venir en aide à cette classe moyenne en lui octroyant des aides pécuniaires directes, il devrait au moins se rendre utile en lui assurant des services publics dignes de ce nom, essentiellement dans les domaines de l’éducation, de la santé et des transports publics, tout en mettant en place des conditions adéquates pour lui permettre d’accéder à un logement répondant à ses aspirations.

Si l’idée de tout demander à l’État est à exclure, faut-il pour autant renoncer à demander des services publics de qualité, ne serait-ce qu’en contre-partie des innombrables impôts payés à l’État par cette classe moyenne?

Liens :

Pourquoi les marocains aiment-ils tant leur police?

Police Fleurs

S’il y a un souvenir commun à (presque) tous les enfants au Maroc, c’est bien celui du passage de l’estafette de police. A sa vue, tout le monde se met à courir, pour une raison qui vous échappe la première fois. Mais tel un réflexe pavlovien, vous vous mettez à courir aussi. Pourquoi? Vous ne le savez pas encore. Mais vous vous apercevez très vite, que seuls les premiers arrivés peuvent compter parmi les plus chanceux. Attroupés autour de l’estafette, les enfants attendent leur tour pour recevoir quelques friandises (hélas jamais suffisantes) des mains des policiers de passage dans le quartier. Ce souvenir est à lui seul suffisant pour expliquer cette relation fusionnelle qui unit les citoyens marocains à leurs policiers bien aimés.

Plus tard dans votre vie d’adulte, vous vous apercevez que nos valeureux policiers sont toujours là pour nous accompagner là où on va, et toujours à vos cotés pour le meilleur comme pour le pire.

Et le pire, dans certaines situations, c’est un accident de la route. Votre premier réflexe est sans doute d’appeler le 19, numéro de nos chers policiers. Et là, la première question qui fuse est à 99% : “Y a-t-il du sang?” “واش كاين الدم؟ “. Si l’on vous pose cette question, ne vous offusquez surtout pas. C’est uniquement pour savoir s’il faut vous envoyer un hélicoptère médicalisé sur le lieu de l’accident. Mais dans tous les cas, les policiers seront présents en moins de 5 minutes (6 au plus), pour vous porter assistance, et recueillir les témoignages en cas de besoin.

Et puis nos valeureux policiers, vous en avez également besoin en cas de vol ou d’agression. Et quand vous vous rendez au commissariat le plus proche, vous êtes systématiquement pris en charge par une cellule de soutien psychologique. Parce que hamdoullah, vous êtes sains et saufs, et que le plus important, c’est que vous soyez vivant. Et puis tout le préjudice matériel, que vous avez subi, ne vaut rien devant le don de la santé et de la vie. Pourquoi déclarer votre vol, et déposer plainte? Pourquoi tant de haine? Dieu le Tout Puissant se chargera de punir ces malfrats!

Car nos bien aimés policiers sont occupés à poursuivre d’autres types de malfrats. Ceux qui risquent de déstabiliser le pays, et d’en faire une nouvelle Tunisie ou Egypte (أعوذ بالله), et qui revendiquent des choses à peine dicibles. Et de l’aveu même de notre Chef de Gouvernement, nos courageux policiers sont parmi les rares au monde à se faire tabasser par les manifestants (que Dieu les jette en enfer).

Aimons les, chérissons les, prenons les dans nos bras, faisons leur des bisous. Ils nous le rendent si bien.

MT Box ou l’arnaque ADSL par Maroc Telecom

 

Vous avez envie d’une connexion Internet ADSL plus confortable que celle offerte par la 3G? Vous avez en plus envie de communiquer de manière illimitée sur votre téléphone fixe? Et aucune envie d’installer une antenne parabolique sur votre toit. Vous avez donc besoin d’un accès à un bouquet de chaines de TV via ADSL. Vous vous renseignez chez vos amis, et vous découvrez tout d’un coup qu’il n’y a qu’un seul opérateur qui puisse vous offrir tous ces services : la bonne vieille Maroc Telecom…

Pourquoi n’a-t-on donc pas le choix entre différents opérateurs sur ADSL, alors que la concurrence fait rage par exemple sur le mobile? C’est une question à laquelle nos éminents savants n’ont pas encore trouvé de réponse…

Vous vous résignez donc à aller chez l’agence de Maroc Telecom la plus proche, malgré la réputation peu recommandable de l’opérateur historique (puisque vous n’avez pas le choix…).

Après plusieurs jours/semaines/mois, un technicien se déplace chez vous et vous installe le joujou. Tout semble bien marcher les premiers jours, jusqu’à ce que vous découvrez que le débit qu’on vous a promis (4 Mbps dans la plupart des cas) n’est que théorique. Le soir ou les weekends il baisse de moitié voire plus. Vous vous dites que ce n’est pas grave, et que ca devrait passer (puisque vous n’avez pas le choix…)

La 2ème surprise vient quelques semaines après l’installation. Vous recevez une facture nettement plus élevé que ce qu’on vous a promis dans les campagnes de pub. Non seulement vous devez payer un mois à l’avance, mais il vous faut en plus payer pour le matériel que l’on vous a installé (Routeur ADSL et boitier TV ADSL) , malgré votre engagement pour 12 mois. Son prix? 425 DH. Et ça, on nous vous en a parlé nul part… Vous avalez tout de même la couleuvre et vous résignez à payer. (puisque vous n’avez pas le choix…)

La 3ème surprise, intervient après quelques jours. Vous souhaitez appeler des amis à l’étranger via Skype. Vous avez bizarrement beaucoup de mal à vous connecter. Et quand vous arrivez enfin à le faire, la connexion est coupée au bout de quelques minutes. Et là, impossible de vous reconnecter. Renseignements pris, on vous apprend qu’à défaut de pouvoir légalement interdire la VoIP (Skype et autres), Maroc Telecom dégrade volontairement la qualité des communications via Skype. Normal, au bout d’un moment, vous passerez vos communications internationales  directement de votre ligne fixe (Maroc Telecom puisque vous n’avez pas le choix…) au prix bien exorbitant que l’on connait, alors que les boxs dans les pays européens offrent des communications gratuites vers le fixe un peu partout dans le monde… (vous n’avez pas le choix…)

Quelques mois plus tard, votre ligne subit des coupures inexplicables. Sauf que  quand la ligne ADSL MT Box coupe, c’est également votre TV ADSL et votre ligne téléphonique qui deviennent indisponibles. La première fois, vous vous dites que ce sont des choses qui arrivent. Mais au bout de quelques jours, l’incident devient répétitif, et se reproduit chaque 10 à 15 minutes. Là vous vous décidez à appeler le service ADSL (le 115)  à qui vous exposez gentiment votre problème.

Au début, on vous prend systématiquement pour un débile : “Votre MT Box est-elle allumée?” “Les câbles sont-ils correctement raccordés?” “-Avez-vous la tonalité téléphonique? – Tu vois bien que je t’appelle de la même ligne non?” .  Au bout de 5 minutes, ils s’aperçoivent (ô miracle) que le problème vient peut-être de Maroc Telecom.  Là ils se résignent à vous envoyer un technicien qui sera là dans 1 à 2 jours (promis, juré, wallah l3adim mon frère). 4 jours passent, vous attendez toujours ce technicien qui ne fait toujours pas signe. Vous rappelez, une, deux, trois, dix fois, pour pouvoir tomber sur un téléopérateur. Quand celui-ci répond, il vous promet la même chose : un technicien chez vous après 1 à 2 jours. 15 jours après, le technicien vous téléphone : “Je suis devant chez vous. Où est-vous?” “Mais il fallait m’appeler avant pardi! Les rendez-vous c’est pour les chimpanzés?” Vous comprenez plus tard que les employés de Maroc Telecom croient tous que leurs clients  sont des hommes/femmes au foyer qui  attendent patiemment le passage de leurs techniciens  à la maison, ou n’ont d’autres choses à faire que de faire le tour des agences commerciales pour résoudre leurs problèmes… Le technicien revient plus tard examiner les lignes, et vous répond que tout est réglé. Bien contents, vous vous dites, que tout est peut-être rentré dans l’ordre. Et rebelote. Le même problème resurgit après quelques heures. Le problème était loin d’être réglé.

Vous vous résignez à rappeler le 115. On vous dit que cette fois-ci le problème vient de la centrale. Laquelle? On ne peut vous répondre. Quand est-ce que ca sera réglé? Très prochainement. Dans 2 jours maximum. Passent une, deux, trois semaines. Vous n’oubliez pas de rappeler le 115 chaque jour en rentrant, de leur demander s’ils vont bien, la santé, la famille… (on s’habitue vite à ses nouveaux amis). Mais vous n’oubliez pas de leur rappeler que le problème n’est toujours pas résolu. On vous répond que “Ykoun khir “, et que le problème sera réglé dans 2 jours grand max  (promis, juré, wallah l3adim mon frère).  Au bout d’un mois, vous explosez au téléphone, et les gentils bonhommes du 115 ne trouvent pas d’autres solutions pour vous que d’aller directement à l’agence commerciale la plus proche. Vous allez dans l’agence un samedi matin, poiroter pendent 2 heures en attendant votre tour. Vous exposez gentiment votre problème à la dame, qui dès qu’elle vous entend formuler la phrase “Problème technique ADSL”, vous tend le combiné posé sur le comptoir en vous disant : le 115 est l’unique interlocuteur dans le cas de problèmes techniques. “Mais puisque je vous dis que c’est eux qui m”ont envoyé ici!” “Ca doit être une erreur”.  Hurlez, criez, faites ce que vous voulez: des clients mécontents, ils en voient des dizaines par jour. Ils sont habitués.

On vous promet de résoudre votre problème dans 2 à 3 jours maximum (promis, juré, wallah l3adim mon frère). Vous rentrez complètement dégoûté chez vous, et vous réalisez que vous avez du courrier : une facture Maroc Telecom. Ca, il faut le reconnaitre, le service de facturation est très compétent chez l’opérateur historique , vous  envoie toujours les factures à temps, vous accueille à bras ouvert, et vous offre tous les moyens possibles et imaginables (sauf les cartes bancaires dans les agences, mais ça c’est une autre histoire…)  pour vous acquitter de votre dû (peut importe si leur part du contrat est remplie, car ça, ils s’en foutent).

Le même jour, vous tombez sur un article de journal qui dit que Maroc Telecom n’a pu vendre que 50 000 abonnements MT Box (sur 630 000 abonnés ADSL) en 5 ans d’existence : un véritable fiasco commercial… Et là vous vous vous dites que c’est bien mérité pour leurs gueules!

Messieurs les dirigeants de Maroc Telecom, si votre profitabilité (une des plus grandes au monde faut-il le rappeler?) est en déclin, et que votre cours boursier atteint son niveau le plus bas depuis 5 ans, il ne faudra blâmer que vous même et la médiocrité de vos prestations et de la relation avec vos clients. Ils sont votre véritable capital, et ils causeront très probablement votre déroute.

Ce billet est inspiré d’histoires bien réelles (la mienne entre autres…).

 

Tunnel de Tichka : un improbable projet pour le Maroc “inutile”

 

Si vous n’avez jamais pris la route Ouarzazate-Marrakech via Tizi-N-Tichka, vous pouvez difficilement imaginer à quelle point le tronçon montagneux est dangereux. Si les paysages qu’elle offre sont à couper le souffle, elle reste une route étroite, sinueuse sur 120 kilomètres, avec des virages à angles morts et des ravins dont on ne voit même pas le fond. Ajoutez à cela une signalisation faible et un entretien approximatif, et vous obtiendrez probablement la route la plus dangereuse au Maroc. Et si jamais vous envisagez de traverser cette route l’hiver, prévoyez des vivres et de bonnes couvertures. Il est très fréquent que la route soit coupée suite aux chutes de neige.

Si on ne connaît pas, pour le moment, la cause exacte du dramatique accident d’autocar de Tichka, on peut, vu la nature de la route, se demander si celle-ci n’est pas la cause directe de l’accident, ou au moins une cause aggravante, vu que le car a chuté dans un ravin de 150 mètres.

On pourra toujours dire que le conducteur roulait trop vite, avait sommeil, ou a manqué d’attention au moment de l’accident, ou que l’autocar était surchargé et que son état mécanique était défectueux, mais la question de la responsabilité de la qualité de la route dans le nombre effroyable de victimes est légitime.

La construction de la route du Tichka a commencé en 1924, sur initiative du Général Daugan, dans le cadre de la campagne de “pacification” du Maroc, après la signature du traité de protectorat français en 1912.

 

Elle fut essentiellement utilisée pour transporter le matériel et les troupes militaires.

Les découvertes minières dans la région, ont incité le protectorat à trouver des solutions pour faciliter le transport du manganèse, et de baisser ainsi son coûts de revient. Deux solutions ont été étudiées : celle d’un téléphérique utilisé pour acheminer le précieux minerai d’un flanc à l’autre, ou celle d’un tunnel sous l’Atlas. La première solution fut adoptée et celle du tunnel temporairement abandonnée (même si selon certaines sources, le creusement avait déjà commencé).

 

En 1974, des études ont été réalisées pour la faisabilité d’un tunnel de 11 Km sous l’Atlas, réduisant la longueur du trajet de 25 Km et économisant 40 minutes. D’autres études ont suivi en 1996 et 2002 et 2004. mais ont connu toutes le même sort : moisir dans un tiroir.

Pour quelles raisons le projet a-t-il été remis aux calendes grecques? Si les italiens, suisses, français ou islandais ont parfaitement réussi des challenges aussi difficiles que la construction du tunnel du Mont Blanc, du Fréjus , du Simplon ou du Hvalfjörður, en quoi le tunnel de Tichka serait-il plus difficile à construire? La seule raison qui parait aujourd’hui freiner le projet, est son coût de financement. Il est estimé aujourd’hui entre 7 et 10 milliards de dirhams, soit entre le tiers et la moitié du coût projeté du TGV Tanger-Casablanca.

Nous vivons donc dans un pays qui s’efforce de trouver les moyens de financer un petit joujou pour le Maroc “utile”, mais bute sur le financement d’un ouvrage capable de changer l’avenir de millions de personnes vivant dans les régions “inutiles” de Deraa, Todgha et Dades. Cette dichotomie si chère au Maréchal Lyautey, continue donc de prévaloir chez les dirigeants du Maroc au 21ème siècle.

Les attentes des habitants de cette région sont énormes, et la construction d’un tel ouvrage constituerait une véritable révolution pour ses habitants, habitués à vivre à la marge du Maroc de “l’autre coté” de la montagne, celui où on jouit de leurs richesses sans véritable retour.

Maroc : Vers un Plan d’Ajustement Structurel?

Beaucoup s’y attendaient, mais le timing et le montant ont quelque peu surpris : le Maroc a finalement demandé l’aide du FMI pour se prémunir contre la crise des finances publiques et des comptes nationaux qui se profile, et s’est vu accorder une “ligne de précaution et de facilité” de 6,2 milliards de dollars, un montant jamais atteint dans l’histoire du Maroc.

Quelles sont les raisons qui ont poussé le Maroc, a demander cette aide, sachant que celle-ci n’est généralement accordée qu’en contrepartie de promesses de réformes (souvent douloureuses)?

 

Une balance des paiements qui se creuse à vue d’œil

Le premier déficit est apparu en 2007, avec le début de la crise économique mondiale, et s’est brutalement dégradé avec la forte hausse des importations d’énergie (produits pétroliers essentiellement), face à la forte progression des cours du pétrole sur le marché international. Et contrairement à ce que beaucoup pensent, l’exportation des phosphates et de ses dérivés ne couvrent que la moitié des importations d’énergie… Face à la stagnation des transferts de MRE et des revenus de tourisme et du recul des Investissements Directs Etrangers (IDE), la forte augmentation des importations ne pouvait qu’entrainer un déficit de la balance des paiements, et un effritement progressif des réserves de change. Celles-ci couvraient 11 mois d’importations en 2005 et sont passées à 4 mois actuellement, et s’approchent dangereusement du seuil jugé très critique de 3 mois d’importations.

 

Un déficit budgétaire devenu insoutenable

Face à l’augmentation des charges de la caisse de compensation, mais aussi de l’augmentation de la masse salariale de l’Etat, le déficit budgétaire explose, et devrait atteindre 7% avant la fin de l’année 2012, soit un niveau jamais atteint depuis une quinzaine d’années. Les recettes augmentent également, mais peinent à suivre le rythme des dépenses. L’Etat recourt donc massivement à l’emprunt pour financer ce déficit, en attendant de jours meilleurs pour les finances publiques. La réforme de la caisse de compensation devient inévitable, et nous sommes en train de payer le manque de courage politique des précédents gouvernements qui ont temporisé et cherché à tout prix d’éviter cette mesure certes douloureuse, mais inévitable. Un des premiers résultats de ce déficit sera également la réduction des investissements publics, avec la conséquence que l’on peut attendre sur la qualité des services publics…

 

Un déficit de liquidité bancaire abyssal

Quand le niveau des crédits accordés à l’économie dépasse le niveau des dépôts bancaires, on parle de déficit de liquidité bancaire. Comment font alors les banques pour combler ce besoin? Bank Al Maghrib accorde des prêts quotidiens ou hebdomadaires aux banques contre certaines garanties. Ce montant a dépassé aujourd’hui les 60 milliards de DH (soit plus que le montant accordé par le FMI…). Et la situation n’est pas prête à s’améliorer. Quel est le responsable de cette situation? L’effritement des réserves en devises est responsable de la moitié de ce déficit. Pour satisfaire les besoins de leurs clients importateurs en devises, les banques s’adressent à Bank Al Maghrib (BAM), en apportant des dirhams contre des devises issues des réserves de BAM. L’autre responsable est la thésaurisation. Les particuliers et les chefs d’entreprises (TPE et PME surtout…), retirent leurs argents des banques pour les placer dans leurs tiroirs ou leurs coffres forts. Pourquoi? Pour échapper au fisc, ou par manque de confiance dans le système bancaire, ou parfois même pour des raisons purement religieuses. A noter qu’une partie non négligeable du déficit de liquidité bancaire est expliqué par les fuites de devises à l’étranger, parfois dans des valises qui voyagent entre les frontières, mais surtout via des mécanismes bien rodés de sur-déclaration et de sous-déclaration de factures lors d’opérations d’import/export…

 

 Se dirige-t-on vers un nouveau Plan d’Ajustement Structurel (PAS) ?

Le dernier PAS qu’a connu le Maroc, a été imposé par les institutions financières internationales (dont le FMI) en 1981, et a duré pendant une dizaine d’années. Les conséquences furent désastreuses pour l’économie nationale : baisse des investissements publics (et donc de la qualité des services publics), baisse du pouvoir d’achat (dû aux multiples dévaluations du DH), inflation soutenue. Un cocktail idéal pour un marasme économique.

Mais quelles sont les conditions de la “facilité de prêt” accordé au Maroc par le FMI? Le communiqué n’en parle pas, mais évoque la dernière hausse des prix de carburants, vue par le FMI comme un premier pas pour la réforme de la caisse de compensation. Il parait donc clair que cette réforme ne tardera pas à se concrétiser.

Se prépare-t-on à nous annoncer un nouveau PAS? Très probablement. Mais cela ne se fera pas d’une manière aussi brutale qu’en 1981. La hausse brutale des prix des matières premières avaient causé des manifestations réprimées dans le sang par le régime de Hassan II (on parle de 600 morts en juin 1981 à Casablanca). La réforme de la caisse de compensation annoncée à maintes reprises par le gouvernement Benkirane, devra se faire avec beaucoup de pédagogie, et prévoir une aide directe aux plus pauvres, voire un matelas pour la classe moyenne qui subit d’innombrables pressions de toutes parts.

Devra-t-on se préparer à une dévaluation du DH? Mesure réclamée depuis longtemps par les exportateurs pour renforcer la compétitivité des exportations marocaines, cette mesure me parait relativement improbable. Une dévaluation du DH entraînerait une hausse des prix des biens importés. Or, la structure des importations est fortement dominée par l’énergie (le pétrole donc), et les aliments de base (céréales et sucre essentiellement). L’Etat pourrait donc être tenté de dévaluer le DH pour augmenter le prix des biens de consommation et d’équipements, afin de dissuader certains achats superflus et donc préserver les (maigres) réserves de devises, mais aurait un impact difficilement supportable sur les ménages (mais surtout les entreprises) consommateurs d’énergies et d’aliments de base, surtout si la caisse de compensation venait à être supprimée…

Ce PAS se traduira, à mon avis, essentiellement par une forte baisse des dépenses publiques d’investissement, une réforme complète de la caisse de compensation, voire même d’une libéralisation partielle du dirham (convertibilité partielle), afin de sortir le Maroc de cette impasse qui se profilait depuis plusieurs années, sans que les gouvernements successifs (le gouvernement El Fassi, et son ministre des finances Mezouar essentiellement…) réagissent à temps pour endiguer la dégradation des indicateurs économiques.

Et contrairement à des projets du type TGV et compagnie, la croissance économique et la résorption du chômage attendront donc des jours meilleurs…

Fin du principe de gratuité de l’enseignement supérieur : A-t-on voté PJD pour cela?

Le ministre de l’Enseignement Supérieur, M. Lahcen Daoudi (du PJD, faut-il encore le préciser), vient de faire des déclarations pour le moins assommantes. M. Daoudi déclare sans broncher: “Aujourd’hui, nous avons un autre problème grave, celui du tout-gratuit des études supérieures dans notre pays. Nous ne pouvons plus continuer dans cette logique.” Puis rajoute : “On veut bien prendre en charge les pauvres, les étudiants issus des couches moyennes inférieures, mais il est temps que les ménages qui ont les moyens puissent apporter une contribution à l’effort de la collectivité.”. AH! Ce n’était pas prévu au programme électoral du PJD ça!

A lire ces déclarations, on se demande si M. Daoudi est conscient qu’il vit dans un pays où 40% de ses habitants sont encore analphabètes, et où le taux brut de scolarisation au niveau de l’enseignement supérieur ne dépasse pas les 13%. M. Daoudi est-il conscient de la gravité de ses propos?

M. Daoudi affiche clairement sa volonté de ne pas imposer de frais de scolarité aux étudiants les plus pauvres. Soit. Mais imposer aux couches moyennes et “riches” de payer pour des études supérieurs est le meilleur moyen de tuer cet ascenseur social, qui malgré tout, continue tant bien que mal à marcher. Daoudi déclare également qu’on lui a dit que “60% des étudiants de l’Ecole Mohammadia d’Ingénieurs sont capables de contribuer financièrement au financement de leurs études”. Étant lauréat de cette école, je peux affirmer que la grande majorité des étudiants (dans les 2 tiers), sont des fils de fonctionnaires ou d’enseignants, que le tiers restant vient de milieux modestes de contrées éloignées du Maroc, et que le nombre d’étudiants “riches” se compte sur les doigts d’une main. Et puis n’a-t-on pas appris à M. Daoudi que la grande majorité des fils de riches ne mettaient pas les pieds dans les universités et grandes écoles marocaines, et préféraient faire leurs études à l’étranger? Ne lui-t-on pas dit que la classe moyenne (définie par le HCP comme tout foyer touchant entre 2800 et 6736 DH/mois) parvient à peine à survivre et à rembourser ses traites innombrables? Comment pourra elle assurer une éducation supérieure à ses enfants, si elle devra en plus en supporter le coûts.

Soyons lucides, le gouvernement Benkirane semble très tenté par les solutions de facilité. Face à l’assèchement des caisses de l’Etat, et au déficit budgétaire galopant, il ne semble trouver d’autres solutions que d’aller chercher l’argent là où il est facile à récupérer, chez les moins résistants et les plus dociles: cette fameuse classe moyenne.

Le PJD s’est-il aventuré à instaurer un impôt sur la fortune? Non. A-t-il pu réformer le système des agréments et faire payer des redevances aux bénéficiaires? Non. A imposer les grands propriétaires terriens? Non. A supprimer les innombrables niches fiscales pour les promoteurs immobiliers? Non. A arrêter le projet du TGV, doté d’un budget de 25 milliards de DH? Non. Il est tellement plus facile de taxer les plus pauvres…

Le PJD semble oublier qu’un impôt équitable est le meilleur moyen de financer des services publics de qualité. Et dans un système fiscal équitable, les riches paient naturellement plus que la classe moyenne, qui elle même paye plus que les plus pauvres.

M. Daoudi semble également oublier que ces lauréats issus des universités et grandes écoles marocaines, paieront à leur tour des impôts, le jour où ils seront productifs dans la société, et s’acquitteront tôt ou tard de ces milliers de DH que l’Etat aura dépensé pour leurs formations.

Mais tout cela, ne semble pas faire partie de la logique PJD. Alors que les pays émergents font de l’éducation pour tous un des leviers de leur développement et de leur croissance, le PJD est sur le point de commettre un crime envers toute une génération dans un domaine où les erreurs se paient très chers, tout au long de décennies

NO PASARAN!

Fiasco de l’éducation au Maroc : un historien français avait tout prévu il y a 50 ans

Et si l’état actuel de l’éducation au Maroc était tout à fait prévisible depuis 50 ans? Et si l’état catastrophique était prémédité par une élite bien établie qui souhaitait continuer à avoir la mainmise sur le Maroc? C’est que laisse entendre cette lettre envoyée par Charles-André Julien, éminent historien français spécialiste du Maghreb. Au lendemain de l’indépendance, il fut invité par Mohammed V à fonder l’Université marocaine, et fut à cet effet nommé premier doyen de la Faculté des Lettres à Rabat.

Cette lettre a été adressée à M. Bennani, Directeur du Protocole de Mohammed V.

Charles André Julien

Paris 1 Novembre 1960

Cher ami,

Depuis hier 31 Octobre, j’ai cessé d’être officiellement doyen de la Faculté des Lettres de Rabat. Je puis désormais m’exprimer en toute liberté.

J’ai été appelé par Sa Majesté à contribuer à resserrer les liens culturels entre l’Occident et l’Orient. Je l’ai fait de mon mieux. J’ai créé de toutes pièces une Faculté qui a acquis un solide renom, et qui eut pu devenir le centre culturel le plus important de l’Afrique musulmane et un centre d’attraction pour les Africains francophones. J’ai toujours été partisan de l’arabisation, mais de l’arabisation par le haut. Je crains que celle que l’on pratique dans la conjoncture présente ne fasse du Maroc en peu d’années un pays intellectuellement sous développé. Si les responsables ne s’en rendaient pas compte, on n’assisterait pas à ce fait paradoxal que pas un fonctionnaire, sans parler des hauts dignitaires et même des Oulémas, n’envoie ses enfants dans des écoles marocaines. On prône la culture arabe, mais on se bat aux portes de la Mission pour obtenir des places dans des établissements français. Le résultat apparaîtra d’ici peu d’années, il y aura au Maroc deux classes sociales : celle des privilégiés qui auront bénéficié d’une culture occidentale donnée avec éclat et grâce ä laquelle ils occuperont les postes de commande et celle de la masse cantonnée dans les études d’arabe médiocrement organisées dans les conditions actuelles et qui les cantonneront dans les cadres subalternes. Avec de la patience et de la méthode on eut pu aboutir à un tout autre résultat, qui permettrait de donner à tous les enfants des chances égales d’avenir.

Le Ministère de l’Education Nationale ne parait pas répondre aux services qu’on attend de lui. On ne saurait dire que l’ordre et la compétence y triomphent, cependant que les éléments marocains les plus valables et soucieux de l’avenir de leur pays sont attaqués dans l’Istiqlal. Les dossiers importants sont parfois partagés entre trois services sans que le cabinet laisse jouer au Secrétariat général son rôle normal de coordination. Le Ministre ne semble pas désirer les contacts. A part la visite de courtoisie que j’ai pu faire après ma nomination, je n’ai jamais eu l’occasion de m’entretenir avec lui. Le Directeur de l’Enseignement supérieur, dont dépend la Faculté, ne répond généralement pas aux lettres. Les mesures les plus importantes sont improvisées, et il m’est arrivé de les apprendre par leur publication au journal officiel sans que j’aie té consulté. C’est ainsi qu’à la mi-octobre 1960, on a décidé en quelques heures de créer une propédeutique et des certificats de licence marocaine de langue française, sans que les programmes aient été au préalable étudiés et que les incidences de ces initiatives aient été mesurées. J’ai appris ces décisions en prenant connaissance de textes polycopiés déposés sur le bureau de ma secrétaire. Il est impossible de faire un travail efficace avec une technique si contraire ä la bonne administration. S’il est un domaine en effet où l’improvisation a des conséquences redoutables pour l’avenir, c’est Enseignement. On ne semble pas s’en douter.

Sa Majesté m’a appelé à Rabat pour promouvoir la culture marocaine, et non pour être complice de sa ruine. Je me suis donc retiré, laissant à d’autres les responsabilités d’une politique universitaire qui me parait imprudente et vouée à l’échec. Je répète que le Maroc est totalement libre de choisir la politique culturelle qui lui semble la meilleure, mais c’est à des Marocains qu’il doit en confier l’application. C’est pour cela que j’ai sollicité du Ministre mon remplacement par un doyen marocain. Un autre point me parait grave quoique d’un autre ordre, c’est celui de la situation faite aux fonctionnaires français qui sont en place, telle que j’ai pu l’apprécier par ma propre expérience. Que le Maroc les remplace par des nationaux, cela est tout à fait normal, mais qu’il ne leur témoigne pas des égards auxquels ils ont droit, cela me parait difficile à admettre. Depuis trois ans, j’ai consacré la majeure partie de mon temps au Maroc sans autre rémunération que le remboursement partiel de mes frais. Je l’ai fait volontiers, mais que l’on m’ait placé à plusieurs reprises devant le fait accompli alors que j’avais la responsabilité de la marche de la Faculté, cela ne saurait être admis par un homme conscient de sa dignité. Faire toutes les besognes officielles, et être tenu à l’écart des décisions fondamentales, c’est pour un doyen une position morale qu’il lui est impossible de supporter. Quand par exemple, le Recteur organise un banquet en l’honneur de son collègue de l’Université de Paris, le Professeur Debré, et qu’il y invite mon adjoint M. Ben Bachir sans m’y convier moi même, bien qu’il sache ma présence à Rabat, il pratique une ségrégation regrettable qui m’oblige à me souvenir que le soir de la Celle Saint-Cloud, j’étais l’hôte de Sa Majesté au premier dîner en l’honneur du Maroc indépendant. Je puis mesurer par ce seul fait les changements qui se sont produits depuis cinq ans.

A la cérémonie émouvante qui a marqué mon départ, et à laquelle assistaient de nombreux marocains et français, j’ai été salué par un professeur, fonctionnaire du rectorat, et par le vice-doyen de la faculté. Le ministre n’était pas présent, et pas d’avantage le directeur de l’enseignement supérieur. Ce sont les Marocains qui ont éprouvé le plus de gène. Si j’ai reçu une lettre très aimable du recteur, le ministre n’a pas cru devoir me témoigner la reconnaissance du Maroc, soit en m’écrivant, soit en me recevant. Par contre, l’ambassadeur de France et le conseiller de la Mission culturelle dont je ne dépendais en aucune mesure et qui ont toujours strictement respecté l’autonomie de la Faculté, m’ont réservé à plusieurs reprises le meilleur accueil. Je me serais abstenu de signaler l’attitude à mon égard du Ministre de l’Education Nationale si elle n’avait entraîné des conséquences sur lesquelles je vous serais obligé de bien vouloir attirer l’attention de Sa Majesté. Depuis le 10 mai dernier (2), date à laquelle j’ai donné ma démission, j’ai écrit à plusieurs reprises au Ministre pour l’informer de la situation. II n’a pas jugé utile de m’accorder un entretien. Avant de retourner au Maroc, je l’ai informé que je serais à Rabat, pour un dernier séjour, à partir du 13 Octobre et que je me tiendrais à sa disposition. J’avais l’intention de le prier de solliciter pour moi une audience de sa Majesté. Fonctionnaire chérifien, je devais en tant que français donner l’exemple du respect de la voie hiérarchique qui s’impose à tous. M’adresser directement au Palais, sans passer par l’intermédiaire de mon ministre eut manqué aux règles les plus impératives de l’Administration. Mon Ministre ne me convoquait pas, j’ai été mis dans l’impossibilité à mon grand regret de présenter à Sa Majesté mes remerciements pour la confiance qu’elle m’a toujours témoignée.

Croyez mon ami à mes souvenirs les meilleurs.
Charles André Julien, professeur à la Sorbonne ».

Source : Centre d’Histoire de Sciences Po Paris

Un article détaillé sur Charles-André Julien est publié sur le numéro de Juin 2012 du magazine Zamane.